La vie de Merci

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La jeune femme entra dans la librairie. La boutique respirait la connaissance et le mystère, et elle adorait, depuis son enfance, se promener entre les rayons à la recherche de livres passionnants. 

Ce jour là, elle décida de chercher dans le rayon biographie de quoi agrémenter sa culture générale ; elle s'aventurait rarement de ce côté, mais cette fois-ci, elle sentait la pépite palpiter au cœur du rayon. Elle s'approcha sans un bruit, ne voulant pas déranger le silence que faisait régner le libraire, dirigeant d'une main de fer son commerce chéri. 

Ses longs cheveux blonds flottants au gré de ses allées et venues, elle avait conquit la sympathie du maître des lieux au fil des ans, et il la laissait à présent observer et toucher sa précieuse marchandise en sachant que jamais elle ne l'abîmerait. Il adorait par ailleurs la voir déambuler sans but, errer entre les étagères et enfin, après de longues minutes de réflexion, sélectionner précautionneusement un livre. Il se plaisait à l'observer lire, et à déchiffrer les émotions qui s'inscrivaient sur son visage au fur et à mesure de la lecture. Et bien sûr, une fois les livres finis et rangés, elle ne manquait jamais de lui dire d'une voix chaude et douce : "Merci !"

Il aimait ses manières, elle dont il avait vu évoluer le caractère et les talents. Il exposait d'ailleurs les dessins et peintures qu'elle lui avait offert, tous sans exceptions, encadrés dans des teintes chères à sa protégée, camaïeu de violet offrant à la vue des clients l'évolution d'une artiste.

Il sourit en se remémorant la fois où, excitée et tourbillonnante, elle avait déboulé dans sa boutique en faisant fi de toutes les règles de discrétion. Avec des trémolos dans la voix, elle lui avait confié un secret : elle avait enfin eu une réponse positive à un entretien d'embauche ! Elle serait désormais créatrice de peinture ! 
Il l'avait félicité, et lui avait désigné un pan de mur encore vierge, lui annonçant qu'elle devrait le repeindre aux couleurs de ses jours. Elle tint sa promesse, et chaque semaine elle revenait pour apposer des tâches de couleurs de son cru.

Qu'elle était douce et créative, la petite Merci ! Son nom s'accordait à la perfection avec son caractère, et ce jour-là il s'extasiait encore devant tant de douceur dans ses pas, malgré un petit embonpoint qui n'enlevais rien à la grâce de la femme. Il faisait le même poids et la même taille qu'elle, mais de ses 73 kg à lui ne trouvait rien de gracieux.
Elle riait souvent en faisant remarquer qu'il était composé d'un mètre cinquante-sept de cerveau, et zéro centimètres de cheveux. Ce qui était vrai au demeurant, mais il était fier de son crâne lisse et aimait ses railleries moqueuses.

Il passa sa main sur son cuir chevelu dégarni, songeur. Elle se dirigeait vers le rayon des biographies, dans le coin des artistes. Elle devait probablement chercher de quoi alimenter son inspiration. Il s'amusa à observer son manège, suivant ses yeux bleus qui vagabondaient entre les couvertures colorées. Elle leva le regard, et pendant une infime seconde croisa le sien. Elle avait l'air décontenancée et apeurée, et il la vit brusquement disparaître et ressortir en trombe du rayon, un ouvrage relié à la main. 

Elle fronçait les sourcils. Jamais elle n'avait vu ce livre dans son inventaire méticuleux de sa boutique. Sur sa couverture était inscrit : La vie de Merci M, par GF

Elle leva les yeux vers lui, et déclara d'une voix inquiète :

"Louis, ce sont mes initiales ! Merci Mouet ! 

-Effectivement, c'est une belle coïncidence ! Où as-tu trouvé ce livre ? 

-Non, ce n'est pas une coïncidence, j'en suis sûre !
Regarde, lis le premier chapitre !"

Elle lui confia l'ouvrage, et il déchiffra l'écriture imprimée des premières pages avec émotion.


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