« Je... bonjour... je m'appelle Gaëlle.
-bonjour Gaëlle ! Répondirent d'une seule voix les autres parents.
-Je viens aujourd'hui pour vous parler de l'expérience que je vis avec ma fille. »Gaëlle releva ses yeux bruns de l'écran, en direction de Blanche. Cette dernière jouait tranquillement sur le tapis multicolore du salon. Elle reporta son attention sur la tablette, et vit que les autres parents attendaient qu'elle prenne la parole.
Prenant une grande inspiration, Gaëlle se força à débiter le petit texte qu'elle avait préparé.
« J'ai une fille qui s'appelle Blanche. Elle est née en avril 2112, ce qui lui fera 8 ans dans quelques jours. Mon mari et moi avons pendant longtemps désiré une petite fille, et lorsque Blanche est arrivée, nous avons pensé être comblés. Malheureusement, il y a maintenant 5 ans, après de longs et coûteux tests, l'hôpital central de Versailles nous a appris que Blanche n'est pas une enfant normale. Elle est autiste, et c'est pour partager ce que j'ai pu vivre avec elle que je vous appelle aujourd'hui. »
Scrutant avec anxiété les visages paisibles de la vingtaine de personnes présentes sur le groupe, elle attendit que quelqu'un prit la parole.
Voyant que personne ne réagissait, l'homme qui occupait la place centrale de l'écran éleva la voix et s'adressa à Gaëlle.
« Merci beaucoup madame d'accepter de nous rejoindre. Voulez vous développer comment vous vivez avec l'autisme ?
-Euh... je... C'est à dire que... pourquoi pas...
-Si vous voulez, vous pouvez enregistrer un message et nous l'envoyer quand vous serez prête ?
-Ben... si ça vous dérange pas... je préférerais. Je me sens peu à l'aise face à des visages inconnus.
-Aucun problème Gaëlle ! Vous nous recontacterez lorsque vous vous sentirez prête ! Au revoir !
-Au revoir à tous ! »Gaëlle ferma la tablette d'un clignement d'œil de quelques secondes. Elle ne rouvrit ses paupières qu'en entendant sa fille s'agiter. Elle avait encore une fois une crise.
La petite se balançait d'avant en arrière, régulièrement, et gémissait en pointant le tapis du doigt.
Suivant du regard l'endroit désigné par sa fille, Gaëlle se leva et se dirigea vers la cuisine. Elle attrapa des biscuits et un biberon de sirop et les apporta à Blanche.
Cérémonieusement, elle déposa la nourriture sur un des motifs du tapis, une fleur rouge.
Puis elle recula de deux pas pour se placer sur un sapin bleu. Elle se tint là quelques secondes avant de retourner sous le canapé.
Blanche se jeta alors sur les biscuit, et commença à les émietter consciencieusement. Elle posa ensuite le chocolat sur un nuage noir et le biscuit sur un soleil vert. Se tournant vers sa mère, elle tendit le doigt vers une fleur blanche, puis vers le sapin bleu, et enfin vers une chenille jaune.
Gaëlle se leva en soupirant, se replaça sur le sapin bleu et ouvrit les bras pour que sa fille s'y blottisse. Blanche s'y réfugia, et se laissa porter jusqu'à son lit.
Dans la chambre, il y avait juste un lit en bois et une petite commode bleue. Le mur était tapissé de nuanciers de peinture. Chaque nuance avait une référence inscrite dans le coin inférieur gauche, et la chambre était entièrement revêtue de ces rectangles colorés et numérotés.
Bordant sa fille, Gaëlle se mit à réfléchir au message qu'elle était censée enregistrer. Comment faire comprendre la complexité et la richesse de la communication avec son enfant ?
Comment l'expliquer sans trop de détails ? Mais avec assez pour permettre à chacun de comprendre ?Plongée dans ses réflexion, elle accomplît machinalement le rituel du soir. Son doigt indiqua successivement les nuances S1030-B10G, S1560-R90B et S0300-N. Blanche sourit et montra à son tour les mêmes nuances dans l'ordre inverse.
Gaëlle sortit de la chambre et s'installa devant son ordinateur allumé. Elle ouvrit un document Word 2090, une antiquité, et reposa ses mains inertes sur le clavier. Que dire ?
Comment expliquer le moyen de communication privilégié qu'elle avait avec sa fille ?
Elle ouvrit finalement l'utilitaire de la caméra et débita sa vie sans réfléchir.
« Bonjour... et bien... je voulais expliquer comment je vis avec ma fille.
Blanche à bientôt 8 ans, et nous avons compris comment communiquer avec elle il y a moins de 2 ans.
Au début, nous étions désemparés. Notre petite fille, notre amour, ne parlais pas encore. Tous les enfants normaux de son âge étaient déjà capables de manipuler une Tablette de Communication Rapide, et elle restait muette comme une carpe.
À chaque tentative de lien, chaque interrogation, elle pointait du doigt un objet, fixement. Nous avons tout essayé : lui donner l'objet, le mettre hors de sa portée, la porter à hauteur de l'objet, et même en désespoir de cause le casser !
Mais elle continuait de fixer du doigt un objet, que ce soit le même ou un autre.Nous avons fini par demander un rendez-vous chez un psychologue renommé dans les troubles de communication.
Après avoir examiné notre Blanche, il nous a redirigé vers un autre spécialiste, puis un autre. Et une foule d'autres psychologues en tous genres ont défilé pour comprendre comment elle communiquait.
Et un jour, en l'accompagnant à la garderie où nous la placions quelquefois, je l'ai vu en grande conversation avec un petit blond, s'agitant frénétiquement dans tous les sens, pointant du doigt des objets à une vitesse folle.
Il avait compris comment parler à Blanche.
Je suis allée demander à sa mère si son fils avait des problèmes pour parler, et... il se trouve qu'elle lui avait appris à parler grâce à la langue des signes. J'ai cru qu'il suffisait de parler une quelconque langue des signes à ma fille, mais j'ai fini par comprendre que ce n'était pas un objet qu'elle désignait, mais une couleur.
Alors, petit à petit, nous avons constitué un dictionnaire des couleurs. Elle est capable, du haut de ses huit ans, de retenir un nuancier entier, et de ne pas confondre deux couleurs si proche qu'il est normalement impossible à l'œil humain de distinguer.
Et maintenant, j'apprends moi aussi comment parler par couleur. Je suis un bleu turquoise, mon mari est un marron bordeaux, et Blanche est un blanc écru.
Notre fille parle désormais. Elle vivra.»
Gaëlle pressa la touche rec de l'application et soupira d'aise. Enfin, elle avait posé des mots sur son odyssée de la compréhension.
Enfin sa fille ne serait plus considérée comme une anomalie du système.
Enfin elle était assurée que Blanche ne serait pas exécutée à 10 ans comme tous ces trop nombreux enfants autistes et incapables de communiquer, que le gouvernement considérait comme des poids pour la société.
Enfin, grâce à un nuancier, elle pourrait offrir la vie à sa fille.
Gaëlle soupira et, se tournant vers l'étagère, envoya un regard aux cadres photos qui s'y trouvaient.
Une larme coula le long de sa joue lorsqu'elle murmura :
« J'aurais tellement voulu réussir avec vous aussi. Je vous aimait tant... »
Déposant un baiser sur chaque photographie, elle sanglota :
« Je t'aime Nicolas. Je t'aime Alexis. Je t'aime Gatien. Je t'aime Mathieu.
J'aurais tant aimé vous sauver comme Blanche... »
VOUS LISEZ
Textes Concours
Short StoryTextes de concours, du premier au dernier. Mention du concours et de son organisateur à la fin de chaque texte.