2: Une mission

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La porte s'ouvrit en un brusque claquement, s'écartant du passage avec une précipitation qui ressemblait à de la terreur. Le battant percuta le mur puis resta quelques instants à trembler sur ses gonds. Berthulfe se redressa en sursaut sur sa couche, une main serrée sur sa poitrine, l'autre tirant sur la literie qui ne couvrait qu'imparfaitement sa modestie et le bas de sa personne. Dame Ermessinde de Puisac et de Manerbes venait d'entrer dans sa chambre, aussi noire et bouillonnante qu'une nuée d'orage.

"Ma... Ma dame ?... Mais que... En pleine nuit..."

Elle se plaça au pied du lit. Son menton, pointé vers l'avant, faisait saillir les contractions de sa gorge ; on eût dit qu'elle essayait d'avaler quelque chose de particulièrement épicé et désagréable. Sa respiration sifflait. La lumière de la torche que tenait son domestique, debout sur le pas de la pièce, éclairait son visage en saccades fugitives.

"Un blessé a été recueilli au prieuré de Franquemont", annonça-t-elle enfin d'une voix sèche. "Vous allez vous y rendre. Vous allez le sauver."

Berthulfe essaya de déglutir, renonça par manque de salive.

"Mais... Je... Ma dame. Je..." Il secoua un instant la tête, hébété de sommeil et de stupeur. "Un blessé dites-vous ? Blessé où ça ?"

"Partout."

"Ah. Je... Bien."

Il ajusta du mieux qu'il put le drap, l'allongeant jusqu'en haut de ses frêles épaules. Il était dur de rester digne dans une telle situation, mais le quadragénaire fit de son mieux.

"Bien. Très bien", reprit-il avec une voix qu'il assaisonna de toute l'assurance qu'il parvint à racler au fond de sa poitrine. "Que les domestiques chargent une des charrettes du plus possible des affaires de mon atelier. Je partirai aux premières lueurs de l'aube..."

"Les palefreniers sont en train de préparer votre monture", l'interrompit Ermessinde. "Vous partez dès que la selle est mise."

Berthulfe se recroquevilla dans sa couche.

"Mais... Ma dame... En pleine obscurité..."

"Une escorte montée d'une dizaine d'hommes se chargera d'éclairer la route. De vous protéger, et de s'assurer que vous arrivez à bon port."

"Nous faire voyager en pleines ténèbres... Le blessé vous est-il si précieux que ça ?"

Un silence accueillit son interrogation. La flamme de la torche vacilla, prise dans un courant d'air imperceptible. Au fond de son lit, l'érudit se sentait nu, faible, minuscule.

"Précieux ? " répéta Dame Ermessinde, faisant grincer chaque syllabe. "Non. Oh non. Il pourrait mourir cent fois sans m'arracher une demi-larme. C'est ce qu'il a vu. Je dois savoir ce qu'il a vu."

Elle se tut. Une veine palpitait légèrement sur sa tempe.

"Mes... affaires, ma dame", osa finalement poursuivre le médecin. "Mes outils, mes philtres, mes onguents, mes ouvrages... Je ne peux travailler sans ça..."

Ermessinde recula d'un pas, signalant que la discussion se concluait.

"Prenez tout ce que peut porter votre escorte sans la ralentir. Mais dépêchez-vous."

"Il me faut au moins les cordes d'intestins ..."

"Vous partez quand les chevaux sont sellés. Même si vous êtes toujours à poil."

Chevalier Larouille 4: Corpus et SanguisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant