Chapitre 6

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''Jour 479-''

La reliure épaisse se laisse caresser pas des doigts fins et délicats. Toujours ce même crépitement qui résonne, comme si ça pouvait réconforter le jeune homme perdu dans le brouhaha de ses pensées. Les images de cette journée lui reviennent en tête, comme brouillées. Les regards pleins de mépris pour sans cesse lui rappeler que tout est de sa faute.

Ta faute.

Ta faute.

Ta faute.

Ta faute.

Ta faute.

Ta faute.

Ta faute.

Ta faute.

Ta faute.

Ta faute.

Ta faute.

Son étreinte se resserre sur le livre et sa respiration devient bruyante, remplaçant presque le bruit de l'enregistreur. Son cœur ne bat pas plus vite que ça et pourtant sa respiration effrénée lui prend par la gorge avant de se calmer à son tour. Il est habitué à tout ça, tout ce cirque. Il n'arrête pas de se persuader que ce ne sont que les conséquences de ses actes. Maintenant un peu plus calme, il prend une bouffée d'air et commence son monologue.

''Bonjour Jimin, comment vas-tu, aujourd'hui ? Tu as fait quoi de ta journée ? il marque une pause avant de recommencer. Moi, je suis sorti avec Jungkook pour l'accompagner jusqu'au parc. Il tenait à ce que je vienne me promener avec lui, et devine qui j'ai croisé.. Taehyung ! Il est enfin venu vivre à la capitale et il a l'air de vouloir rattraper le temps perdu avec Kookie. J'ignore pour quelle raison il est là, maintenant, mais de ce que Jungkook m'a dit, il a enfin trouvé l'argent nécessaire, bien qu'il vive chez Namjoon. Soit, ça faisait longtemps que je ne l'avais plus vu mais il n'a toujours pas changé, même si j'ai remarqué une lueur nouvelle dans son regard, quelque chose de moins doux dans son regard, mais en compagnie de Jungkook il s'adoucit. Puis tu sais comment ils sont, toujours aussi fous à deux ! Si tu veux, je lui proposerai de venir te voir, ça pourrait te faire plaisir.''

Un rire moqueur se fait maintenant entendre dans la pièce sombre et presque macabre. Accoudé à son ancienne table à manger -qui s'est transformée en un dépotoir-, il sort une cigarette de son paquet. Son regard balaie la pièce et il continue de glousser face à cette scène presque irréelle. Au beau milieu de la nuit, Yoongi rigole seul chez lui. Seuls les astres célestes peuvent le voir et pourtant, il se sent quand même jugé. Ses mots, ses rires, tout sonne faux. Tout ça n'est qu'une illusion montée de toute pièce par les cieux pour réussir à le rassurer dans son désarroi.

''Tu n'as fait que m'enfoncer encore plus dans ma douleur, tu es fier de toi ?!''

Ça résonne fort dans son esprit. Ces mots, ce sont les siens. Ils ont, un jour, traversé la paroi de ses lèvres. Ils sont crus et douloureux et il les regrette amèrement. Pourtant, il ne peut pas s'empêcher de se les rappeler, son esprit le torture pour ne pas qu'il les oublie, ce serait en oublier les conséquences de ses actes et oublier ça, il ne le voulait pas. D'un coup sec, son poing heurte la table, sans même qu'il ne s'en rende compte. Il fait sombre, le monde est plongé dans une nuit enchanteresse pleine de peurs et d'angoisses mais les habitants dorment et ce lourd sommeil les a comme figés dans le temps et l'espace. Yoongi, lui, ne pense pas à dormir. Yoongi, lui, pleure. La petite averse fait maintenant rage sur son visage. Il pleure et serre la mâchoire pour garder un semblant de dignité devant l'immensité de l'univers qui veille sur lui. La fenêtre grande ouverte laisse passer une lumière bleutée ainsi qu'une brise printanière, caressant maintenant, sa peau laiteuse. Cette caresse, semblable à celle d'une mère, ne fait que l'enfoncer un peu plus dans son désarroi. Le réconfort et l'amour, qui pourra lui en donner maintenant ? Il l'ignore.

À vrai dire, depuis sa disparition, c'est comme si tout le monde autour de lui avait péri. Une longue chute interminable dans les abysses du désespoir. Enfin, c'est ce qu'il pensait. Il a désormais compris qu'ils avaient toujours été ainsi, ils maintenaient juste un certain équilibre. Après tout, les angoisses et les peines ne sortent pas de nulle part mais voilà, ils étaient à eux tous, les piliers d'une tour manquant de s'écrouler. Tremblotante, parfois même menacée par les torrents, elle tenait. Mais une fois un pilier disparu, la tour s'est écroulée. Ainsi, ils avaient été aveuglés. Pourtant si proches, ils avaient été incapables de déceler les peines de chacun au moment voulu, vivant tous dans une illusion. Bercés dans leur songe, ils en avaient oublié le concret, mais il leur avait été amené de façon si élégante, si délicate, qu'ils n'y avaient vu que du feu. C'était comme un doux voile posé sur leurs yeux, une douce soie pour leur cacher la vérité. C'étaient ces mêmes astres qui se chargeaient de dicter leurs illusions, qui les berçaient pour les amener dans un rêve de la manière la plus délicate qui soit. A force, Yoongi n'arrive plus à déceler le vrai du faux. Quand le voile fut tombé pour la plupart d'entre eux, il avait décidé de le laisser, de se rattacher à lui, coûte que coûte. Yoongi ne veut pas retirer ce voile.

Ses joues humides, ses yeux gonflés, il avait maintenant retrouvé son expression neutre naturelle. La cigarette prise plus tôt entre ces doigts n'était plus qu'un amas de nicotine.

''Ne t'inquiète pas, je ne suis pas fou, rit-il, je suis juste un peu rongé, un peu brisé. Il n'y a qu'avec toi que je peux parler, mais même là, je ne suis pas sûr que tu m'entendes. Suis-je pitoyable ? Ai-je l'air misérable à t'attendre comme ça ?''

Il tourne le regard vers la fenêtre ouverte vers l'océan nocturne. Il se revoit, pas plus grand que ça, assis au rebord de la fenêtre en train de se boucher les oreilles pendant que les cris de ses parents résonnaient dans l'habitacle. Si jeune, et pourtant si effrayé, c'était regrettable. L'enfant se débattait avec ses démons intérieurs. Sans même qu'il s'en rende compte, il était pris de soubresauts qui le rendaient si vulnérable. Le regard tourné vers la porte d'entrée, il l'observait, il l'enviait. Il voulut s'en aller mais cette idée lui sortit bien vite de la tête quand son père apparut dans son champ de vision pour lui-même s'en aller. Voilà, il venait de manquer l'occasion de partir, laissant derrière lui ses problèmes, ses peurs et ses angoisses.

Toujours le livre en main, il le tenait maintenant fermement. Les seuls objet qu'il lui avait laissé se trouvaient ici, chez lui. Il les relit sans cesse pour se sentir plus proche de lui mais le vide ne fait que s'accroitre. Ce bruit incessant troublait le calme si reposant de cette nuit bleue. Son regard discret se tourne vers la porte d'entrée noire, griffée et en mauvais état pour finalement qu'il reporte son regard vers le magnéto. Il a désormais une deuxième chance de s'en aller, ne serait-ce que quelques heures. Il a maintenant la chance de délaisser ses doutes, ses peurs, ses angoisses.

Finalement décidé, il éteint l'enregistreur. Le bruit de l'enregistreur laisse place à un silence absolu. En banlieue de Séoul, il a la chance de ne pas devoir subir cette pollution sonore. À vrai dire, les gens ont peur de sortir de chez eux, mais Yoongi ne laissera pas passer cette chance une deuxième fois.

Le voilà en train d'attraper sa veste et ses éternelles cigarettes avant de se diriger vers la porte d'entrée. Il fourre ses clés dans sa poche et s'en va, loin de tout ça, le temps d'une nuit. Il dévale les escaliers à toute vitesse et une fois l'embrasure de la porte dépassée, il reçoit un immense bol d'air frais sur lui et inspire longuement pour en profiter pleinement. L'air pénètre dans ses poumons avant d'en ressortir désoxygené. Il ouvre les yeux et regarde en face de lui. Le quartier si calme qu'il a fréquenté toute son enfance parait si triste, pourtant, il s'en souvient, il passait de bons moments ici.

Finalement prêt, il s'élance dans la nuit, à la recherche d'un quelconque échappatoire et s'engouffre dans le bleu nocturne d'une nuit qui paraît éternelle.

loneliness [myg;pjm]Where stories live. Discover now