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Le projet était né suite à l'annonce de la fermeture de notre site industriel et de sa délocalisation en Chine. « Pas assez rentable », avait dit l'actionnaire. Depuis qu'il avait racheté la boîte, ce n'était jamais assez rentable.

On était furax, et le pire, c'est qu'on ne pouvait même pas s'en prendre au Directeur. Il n'y était pour rien, c'était un simple exécutant. C'était sa Sainteté le Marché et sa petite pute le banquier qui menaient la danse.

On a organisé une assemblée du syndicat avec toutes les ouvrières.

— Il faut faire une grève et une manif, j'ai dit. Pour leur montrer de quel bois on se chauffe.

— Bah ! a pesté Gertrude, ils s'en foutent de nos manifs. Ça n'empêchera rien.

— Peut-être, mais au moins on ne se sera pas laissées faire. C'est une affaire de dignité.

— Ça fait quarante ans que je perds des combats avec dignité. Je suis trop vieille pour ces conneries.

Lou a pris la parole :

— Ce qu'il faudrait, c'est médiatiser notre cas. S'ils se retrouvent sous le feu des projecteurs, ils auront peur de la mauvaise publicité et accepteront de négocier.

— Ma pauvre, que j'ai répondu, j'ai déjà contacté la presse par le biais du syndicat. Personne n'est intéressé. Des usines qui ferment, il y en a tous les jours, on ne les remarque même plus. Tout le monde s'en fout.

— Alors, il faut faire le buzz, a rétorqué Lou. Pour attirer les journalistes et obtenir une visibilité sur les réseaux sociaux.

— Tu penses à quoi ? Séquestrer le Directeur ? Lui arracher sa chemise ?

— Non, pas de violence. C'est toujours mal vu par l'opinion publique, même quand c'est mérité. Je pensais plutôt à un gros coup médiatique.

Et la petite nous a exposé son idée.

Au début, ça nous a juste semblé délirant. Faire un calendrier des ouvrières... nues !

— Ça va pas ? a protesté Gertrude. D'où tu sors une idée pareille ?

— D'autres l'ont fait avant nous. Les médias se jetteront sur une histoire de ce type. Des ouvrières qui posent nues pour récolter des fonds parce que leur connard de patron veut les virer sans indemnités. Croyez-moi : ça va attirer les gens.

— Juste parce qu'il y a des femmes à poil.

— On s'en fout. L'essentiel c'est qu'ils viennent. Bien sûr, c'est malheureux de devoir en passer par là, mais...

— Bla bla bla ! j'ai dit. Admettons que tu aies raison. Encore faut-il que tu trouves des volontaires pour poser les fesses à l'air. Désolée, mais moi je n'en suis pas.

J'avais trop de pudeur pour me déshabiller devant tout le monde. Et puis, franchement, après trois grossesses, mes seins pendaient et j'avais des vergetures de partout.

Gertrude refusa également parce qu'elle se trouvait trop vieille, et Betty trop grosse.

— Mais justement, a insisté Lou, c'est ça le truc. On va représenter la diversité. Des minces, des grosses, des jeunes, des vieilles... Et puis, on ne fait pas ça pour devenir top-modèles, juste pour attirer l'attention.

Enfin bref, elle nous a tant travaillées au corps qu'elle a fini par convaincre onze d'entre nous de la rejoindre dans son projet fou.

Et voilà comment un beau matin, douze ouvrièresse retrouvaient autour d'un plat de tartelettes spéciales banane-chocolat blancdans le but de se faire prendre en photo dans le plus simple appareil.

Le calendrier [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant