Chapitre 1

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Je suis arrivée dans ce qui serait ma nouvelle maison à la tombée de la nuit. J'ai vu ma mère sortir péniblement de la voiture comme si tous les malheurs du monde s'étaient mis à peser sur ses épaules.
Elle s'est arrêtée sur le palier et s'est retournée. Je l'ai vu entrouvrir la bouche comme si elle souhaitait partager quelque chose puis se raviser d'un mouvement de tête. Je profitais du moment où elle ouvrit la porte pour dévisager ce qui serait maintenant mon lieu d'habitation. C'était une maisonnette plutôt blanche, plutôt petite, plutôt vide. Comme si elle ne possédait aucune âme, aucune mémoire.
Ma mère me coupa dans mon analyse en marmonnant.
- Extase, sois gentille aide moi à ranger les cartons.
Nous passâmes notre soirée à entasser les quelques cartons (le peu de souvenir) que nous avions dans le minuscule hall.
La maison était composé d'une cuisine qui servait de salon, d'une salle de bain adjacente à une chambre et d'un petit sous-sol qui serait ma chambre. Je ne pu m'empêcher de suffoquer lorsque je descendais les escaliers étroits qui rejoignaient le sous-sol ; je n'avais jamais vraiment apprécié les endroits clos qui ne possédaient aucunes échappatoires.
Je me suis arrêtée sur la dernière marche de l'escalier et j'ai fermé les yeux pour m'habituer à cet endroit étrange. On y respirait plutôt bien, il y avait une climatisation qui -par miracle- fonctionnait parfaitement. La pièce n'était pas très vaste, mais les couleurs crèmes des murs ne rendaient pas l'atmosphère étouffante.
Je posais les deux cartons qui contenaient mes affaires à côté d'un matelas posé à même le sol.
Je pris le temps d'inspirer et d'expirer plusieurs fois, comme les urgentistes m'avaient appris à faire lorsque je sentais l'angoisse montée, et je me suis affalée sur le lit.
Pour pleurer.
Un torrent de larmes qui ne s'arrêtaient plus. Des larmes amers qui me piquaient les yeux, la gorge, les joues, la vie.
Je sentais le matelas devenir humide sous mon visage, mes pleurs avaient formé comme une grosse tâche de tristesse qui contrastait le blanc immaculé du coton.
J'entendis une marche d'escalier craqueler, je jetais un coup d'œil en direction du bruit. Ma mère me fixait, les yeux rougies, les joues brillantes.
Depuis combien de temps était-elle là ?
Elle me paraissait si frêle. Elle donnait l'impression de se recroqueviller sur elle même comme pour disparaître.
J'essuyais du bout de mes manches mes larmes et me relevais.
- Tu as besoin d'aide pour ranger les cartons ? lui demandais-je d'une voix ferme.
Elle me bloqua le passage et d'un geste m'invita à la rejoindre.
Elle avait détaché ses cheveux bruns qui coulaient en cascade le long de ses épaules. Ma mère était belle. Du moins trois mois en arrière. Depuis ce jour là, elle ne faisait guère plus attention à elle qu'à la couleur du ciel ou à sa nutrition.  Vivre avec ma mère c'était un peu comme vivre avec un fantôme. Un fantôme pleurant chaque heure du jour ou de la nuit.
Elle me serra dans ses bras et en respirant son odeur de pêche je ne pu m'empêcher de retenir encore une fois mes larmes devant elle. Je me promis intérieurement que ce serait la dernière fois. Plus jamais je ne pleurerais devant ma mère. Je détestais la seule idée de lui faire encore plus de peine qu'elle n'en avait déjà. Et Ô combien sa peine était grande.
Je me dégageais péniblement de son étreinte.
- Tu veux que je prépare quelque chose à manger maman ?
Elle me jeta un dur regard.
- Ça suffit que tu t'occupes de moi comme si j'étais un bébé. Je m'en occupe va te reposer.
Je clignais des yeux plusieurs fois, étonnée par la force de ses paroles. C'était la première fois depuis des semaines que je l'entendais prononcé plus de trois mots.
Elle remonta les marches aussi discrètement qu'elle les avait descendu et je me retrouvais à nouveau en tête à tête avec ma solitude.
M'allongeant sur le dos j'observais le plafond les yeux à demi clos.
Anna. Son sourire et ses boucles rousse. Ses yeux pétillants et son âge insouciant. Impossible de penser à autre chose.
Elle, qui aurait été si triste de quitter la maison et si heureuse d'en avoir une autre.
Elle, qui aurait tant aimé ce sous-sol.
Elle, qui aurait couru partout jusqu'à l'épuisement.
Elle, qui se serait endormie avec moi par peur de rester seule en cette première nuit ici.
Elle, qui n'était plus qu'un souvenir. Un visage que je ne reverrais plus jamais.
Ma petite soeur.
Anna.

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