Chapitre 2

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Durant une semaine je n'osais sortir de chez moi. Je restais enfermée errant de part et d'autre entre les quatre pièces de notre nouvelle maison, m'habituant à chaque millimètre carrée que j'habitais maintenant.
Je me résignais à sortir un vendredi, quelques jours seulement avant que les cours ne reprennent et que je sois dans l'obligation d'intégrer ce nouveau lycée dont je ne connaissais que le nom.
Il faisait doux quand j'eu enfin le courage de tirer d'un carton une vieille pair de tennis qui appartenait à ma mère pour faire le tour du quartier.
Courir m'avait manqué.
Mais c'était compliqué de courir lorsque des crises de panique vous coupaient la respiration à n'importe quel moment.
Ce matin là pourtant, j'eu ce besoin fou de sentir le goudron frappé sous chacun de mes pas, de retrouver cette sensation d'adrénaline, de respirer l'odeur qui se dégageait de chaque branche d'arbre, maison ou voiture qui passait à côté de moi.
L'avantage de cet endroit était que je pouvais aller n'importe où, rien ne me rappellerait ce dont je ne voulais pas me rappeler. Il n'y avait ici, rien qui ne pourrait me rattacher au passé. Je ne tournerais pas à un coin de rue en apercevant le petit graffiti en forme de coquelicot qu'Anna avait dessiné sur le muret des voisins lorsqu'elle avait six ans. Je ne me remémorerais donc pas sa petite voix lorsque la voisine l'avait attrapé pour lui demander des comptes et qu'elle avait répondu :
- C'est juste parce que... j'entends souvent votre monsieur vous gronder et j'aime pas les cris. Le coquelicot c'est la paix. J'ai peur quand votre monsieur vous cri dessus.
Je ne me souviendrais ainsi pas des larmes de notre voisine (une femme d'une trentaine d'année qui portait toute l'année des cols roulée et des lunettes de soleil) lorsqu'elle avait lâché ma petite soeur qui avait couru jusqu'à mes bras.
Ce coquelicot qui n'avait donc jamais été effacé. Et que je voyais chaque jour en allant au lycée. Je ne le verrais plus.
C'était 7h30 lorsque je fermais doucement la porte de la maison pour ne pas réveiller ma mère qui dormait profondément. Je m'élançais dans l'allée et observais pour la première fois depuis notre arrivée les différentes baraques qui nous entouraient.
La notre faisait pâle figure devant ces grandes bâtisses d'au moins deux étages aux jardins bien entretenus. Je longeais la route sous le soleil qui commençait à se lever. Je laissais hippie sabotage se déchaîner dans mon  oreille droite pendant que la gauche guettait les éventuelles véhicules qui pourraient rompre la tranquillité de ma course. Pas que cela m'aurait déranger de passer sous les roues d'une voiture. Je ne pouvais m'empêcher de penser à ma mère chaque fois que de telles pensées traversait mon esprit. Parce qu'elle ne pourrait supporter un deuil de plus.
Je tentais de retenir les allées que je prenais, pour éviter de me perdre, mais j'avançais sans vraiment avoir de but.
Je m'évadais dans ma course, retenue par les notes et les voix qui dodelinaient sur la musique.
Pourtant, mes jambes qui me portaient depuis déjà deux bons kilomètres, me lâchèrent tout à coup et je me rendis compte, chancelante, sur un bout de trottoir esquinté, que ma respiration sifflait drôlement comme une souris qu'un chat aurait torturée durant plusieurs heures.
Mes genoux fléchirent et je me retrouvais à la merci du sol qui m'attira à lui sans que je ne puisse esquissé le moindre mouvement.
Mon dos reposait contre un mur râpeux qui marquait ma peau lorsque je tentais de me redresser et lentement, de respirer.
Et la panique me gagna. Une fois de plus elle prit le dessus.
Que se passe-t-il lorsqu'on avale un chewing-gum sans le vouloir ?
Dans le cas le moins grave, le chewing-gum laisse une sensation dans la gorge, comme une gêne, on a l'impression qu'il est passé, puis notre esprit se persuade doucement que le chewing-gum est resté coincé. Vient alors la panique, tapi dans un coin elle surgit et nous fait suffoquer. On crie, on tousse, on pleure.  On se persuade qu'on va mourir et l'air nous manque.
Alors que tout va bien. Le chewing-gum est passé, il n'y a pas de danger. Pourtant, tant que se sentiment de gêne n'est pas passé, la peur nous fait manqué d'oxygène.
Voila comment j'aurais pu qualifier ces crises sournoises qui m'assaillaient. Des chewing-gums qui semblaient ne pas passer.
- Eh oh, ça va aller ?
Un garçon d'à peu près mon âge était penché vers moi, le regard soucieux le front plié comme s'il se demandait si j'étais folle ou vraiment en danger.
J'aspirais goulûment de l'air et hochais la tête.
Sa main serrait mon bras, j'étais gênée de sa proximité. Je reculais encore plus que je ne le pouvais pour me recroqueviller contre le mur. Il s'écarta de moi et me jeta un regard de travers.
- Tu veux que j'appelle quelqu'un ? Me demanda-t-il doucement d'une voix un peu trop grave pour son visage jovial.
Je secouais la tête.
Rester calme. Je devais me reprendre.
Il avait des yeux clairs et des cheveux blond cendré coupé court. Je me concentrais sur le logo de l'équipe de football qui était gravé sur la manche de son sweat et me forçais à respirer normalement.
Lentement mon corps arrêta de trembler et je me relevais quelque peu secouée. Il attrapa mon poignet de peur que je ne retombe et me fit un demi sourire.
- Bon, t'as pas l'air d'aller bien tu veux que j'te raccompagne ?
Je le fixais, il n'avait pas l'air méchant mais je préférais rester sur mes gardes.
- Non merci, ça va aller, je n'habite pas loin.
- Pas de soucis alors, tu viens d'emménager ? Je t'ai jamais vu dans le coin.
Qu'est ce que ça pouvait bien lui faire.
- Ouais. La semaine dernière., je tentais d'adopter une voix froide et repoussante mais il ne se démenait pas de son sourire.
- Sympa alors, on se reverra sûrement. Bon et bah.. à plus, et fais gaffe à toi, me lança-t-il en s'éloignant.
Je pris le sens inverse pour rentrer en prenant soin de bien aligner chacun de mes pas.
Je regrettais déjà la façon dont je m'étais adresser à lui. Il devait sûrement aller dans le même lycée que moi et c'était bien ma veine de me mettre quelqu'un à dos avant d'y être.
Je songeais aux nouvelles personnes que j'allais rencontrer et au combien cela allait être compliqué de m'adapter à cette nouvelle vie.
Je rentrais et posais mes chaussures sur le tapi qui s'exclamait faussement "welcome in paradise". Si le paradis ressemblait à ma vie, alors peut être fallait-il mieux prendre le chemin de l'enfer.
- Maman t'es levée ? fis-je assez fort pour qu'elle puisse m'entendre.
Pas de réponse.
Je rentrais dans sa chambre. Elle respirait doucement. Je m'approchais d'elle et aperçu son visage qui paraissait si serein, éclairé par l'espace exigu de la porte que j'avais laissé ouverte. En m'approchant un peu plus, je remarquais la fine larme qui brillait sur sa joue. Mon coeur se serra en imaginant les doux rêves qu'elle devait faire. D'une douceur poignante.
Je m'allongeais à côté d'elle et attrapais sa main.
Même en plein sommeil, les plaies restent béantes.

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