Entre fantasme et réalité

Prologue : 1.A. L'Infranchissable

Cela ne m'était jamais arrivé auparavant. Mon coeur est l'otage malencontreux d'un apparent inconnu. Le désir irrésistible de me rendre à lui, de le découvrir de tout artifice inutile et invisible à mes yeux voyeurs, de déshabiller son être tout entier, de couler en lui pendant qu'il me pénètre me prend violemment.

Au sein du bal masqué de la civilité, notre rencontre met en lumière la futilité des règles de son jeu, dont la pertinence, la globalité et le bénéfice de leur présence nous échappent à tous les deux. Jusqu'ici, nous feingnions de danser, singions la parade artificielle, hermétique, superflue. Mais entre nous, le réel. Dès la première étincelle, nous nous sommes reconnus. En un coup d'oeil, nous nous sommes connus. Les échanges qui ont succédé cette rencontre n'ont fait qu'amplifier l'impressionnante attirance. Ou alors, tout ceci n'est qu'aliénation. Mirage ou tension concrète, la brièveté inhabituelle de ce frisson concentrant toute cette force en mon fort intérieur m'a traversée. Il m'assèche et m'assoife, intimide et trempe mon intimité à force de provoquer en moi ce délicieux incendie irradiant toute autre volonté que celle de le trouver pour le saisir, aussi profondément qu'il m'a agrippée, gênée, bafouée. Gobant toute manifestation divergente de sa verge, le fantasme de l'amour interdit par excellence se dénude dans ma gorge.

C'est la première fois que je veux baiser un homme dont la longueur de la vie est colossale, et je n'ai pas la présomption de nier la passion romantique qui accompagne dangereusement cette envie pressante. Il est mon employeur intimidant, incarne sans vergogne l'homme mature mignon, joue parfaitement le rôle de ce personnage enivrant, porte naturellement les attraits de la présence pervertie par la désorganisation qu'elle cause en moi. Même si la réalité était unilatérale, une seule pensée caressant en souvenir son regard dans lequel sont concentrés l'intelligence vive et la sensibilité extraordinaire, sa voix traduisant la délicatesse virile et franche, ses intentions à la limite de l'éthique raisonnable submergées par la douceur opale et bienveillante me provoquent des palpitations génitales incomparables. Les braises nées de notre rencontre par laquelle sa timidité m'a léchée sont attisées par ces mains de maître impitoyable qui, d'un gentil claquement de doigts, dévaste mes parois internes, brûle mon antre romantique, calcine ma dignité et flambe tout ce que je croyais intouchable. L'inatteignable m'atteint. Il me dévore de l'intérieur et je peine à retenir d'accoucher notre monstre de flammes, submergé de honte, mouillé de vérité. Je suis inondée d'un feu, dont la chaleur sale et cruelle, allumée par le charme d'une âme sensible, est nourrie par l'impossibilité même de l'éteindre.

La similarité de notre personnalité déclenche l'amour curieux et innocent; sa complémentarité révèle l'animalité vibrante. Cette dichotomie vertueuse crée un cercle très vicieux, dont le rayon découpe ma chair et fait jaillir le sang aux reflets essentiels et purs, à la couleur du péché, à la température de l'origine. Où se tame cette liberté dont j'entends parler, lorsqu'au fond de moi tous les murs se tapissent de rubis dérobés au Naturel fondateur de sens, érigé par la relation nouvelle et surprenante d'un homme qui matérialise mes fantasmes pulsionnels? Les règles arbitraires créent la frustration et mon envie rebelle a comme dessein de propager le foyer ravageur ne trouvant refuge que dans ces mots giclés.

Par ces textes, l'électricité est illusoirement canalisée. Mon espoir naïf est celui de la conduire, à défaut de la faire jaillir au sein de l'aimant créateur de cette convulsion, jusqu'à toi, qui ici l'as été par ta nature aussi perverse et adorable que l'auteure, afin de partager cette excitation et de susciter ce qui était apparemment endormi, d'éveiller et surtout de calmer la catastrophe naturelle par le phénomène de la catharsis et de l'art créatif. J'espère ne pas avoir ébranlé ton imagination superficiellement vierge, ni entamé la fatale brèche qui m'habite aujourd'hui...