En CE1, j'ai sauté une classe. Je l'ai déjà dit, j'étais très seule à cette époque, et ce changement n'arrangea rien - n'empirait rien non plus, soit dit en passant. Je ne me souviens pas d'un seuls de mes amis, si j'en ai eu - bien que j'ai souhaité en avoir, évidemment. Mais je n'aimais ni les sujets de conversation, ni les centres d'intérêt des gens de mon âge.
On m'a raconté qu'une fois, pour pouvoir jouer avec elles, un groupe de filles m'avaient demandé de les laisser me gifler. J'avais accepté - ceci dit, je ne m'en souviens pas.
Par conséquent, je ne garde du primaire qu'un impression triste et esseulée, et c'est sans doute la raison pour laquelle j'ai commencé à écrire à cette époque.
Ma première histoire était celle de Kinou et Yilia, le très jeune garçon - je lui donnais mon âge environ - qui devait sauver sa Princesse. Yilia avait perdu son corps, et lorsqu'elle ne baladait pas son âme en fantôme translucide, elle logeait dans le corps de celui qui allait devenir son chevalier. Il y avait également un triangle amoureux, grâce à l'amie d'enfance du héros - dont le pacte avec le Démon pour gagner le coeur de son amant aurait fait l'objet d'un tome deux.
Du primaire, je ne garde que quelques souvenirs clairs, dont l'un est lié à cette histoire.
Il faisait froid - peut-être pleuvait-il, je ne me souviens plus - et j'écrivais dans la cour de récréation. Kinou courait à cause de la pluie - ici, je me demande si la mauvaise météo de mon souvenir n'est pas simplement celle que je décrivais dans mon histoire. Peut-être faisait-il grand soleil, mais ce souvenir est suffisament désagréable pour que je l'ai modifié ainsi.
Kinou donc, pour échapper à la pluie, se réfugie chez son amie d'enfance, qui lui offre un grand bol de soupe pour le réchauffer. Ce moment n'a jamais eu de suite, parce qu'un élève derrière moi l'a lu a voix haute d'un ton sarcastique, provoquant l'hilarité de ceux présents.
Je pouvais pourtant percevoir un certain intérêt, sinon une admiration, pour mon attitude différente. Encore une fois, j'étais blessée, je me sentais rejeté par mon entourage. Qu'avais-je encore raté ? Qu'y avait-il de répréhensible dans mon comportement ? Les adultes écrivent des livres, et n'allions nous pas tous devenir des adultes un jour ?C'est également ce que je reproche à certains de mes professeurs par la suite. On nous a toujours fait sentir qu'il a trois classes d'adultes : il y a eux, qui font fonctionner la société, votent et se plaignent du gouvernement ; les adultes morts, qui ont fait de belles guerres, écrits de beaux livres - les sages et les tyrans - et puis nous, les adultes en devenir. Parce qu'eux même n'avaient pas réussi, ou parce qu'on leur avait dit la même chose, ces adultes nous disaient que l'on ne pourrais pas égaler ces sages - peut-être pourraient-on espérer les comprendre un jour, quand nous serions devenus de bons petits rouages de la société. Ce qu'ils n'avaient pas l'air de réaliser, c'est que ces sages étaient justement considérés comme tels parce qu'ils avaient remis en question - du moins, souligné certains points pas très clairs de leur propre société.
Plus tard, j'ai compris qu'en fait, la société est majoritairement composée de rouages qui admirent les moteurs, tout en dissuadant les prochaines générations d'en devenir - trop de changement fatigue à la longue, je suppose. Ou alors, peut-être cherchent-ils à préserver un certain équilibre : si nous étions tous des moteurs, nous n'entrainerions aucun rouages, n'est-ce pas ? Enfin, certaines personnes seront simplement incapables d'être autre chose que des rouages - bien huilés ou non, telle n'est pas la question.J'ai envie de dire que j'ai créé Cerise comme ma première amie, et, évidemment une adulte, mais ce serait me mentir. En tant qu'adulte, elle ne pouvait pas être mon amie à l'époque, puisque nous placions tous les adultes tellement au-dessus de nous.
Non, Cerise était une adulte qui n'attendait pas de moi de devenir un rouage, mais qui était plus accessible que les véritables adultes qui me voyaient ainsi. Parce qu'à leur yeux, j'étais une enfant, alors qu'il y avait une certaine sensation d'égalité avec Cerise. Un genre de mère de substitution : la mère qui me réconfortait à l'école, et qui était un témoin compréhensif de ce que j'étais tout simplement incapable d'exprimer à ma véritable mère. Mes préoccupations et mes malheurs me semblaient tellement dérisoires et indigne de son attention que je ne savais pas comment les lui exprimer, ni comment me soulager. Alors, Cerise me réconfortait.
Plus tard, je me suis rendue compte que ma mère était simplement incapable de comprendre mon point de vue. Mais un enfant ne réalise pas ça, il se dit que l'adulte n'y attache simplement pas d'importance, et que c'est à soit de régler son problème.
Je disais Cerise commandante de l'armée, mais dans les faits elle n'avait aucune des occupations d'un adulte normal.
Pourtant, elle a toujours eu ces rides de fatigue, et ces paupières tombantes de sommeil. Mais lorsqu'elle sourit, elle étincelle d'une jeunesse éclatante, et d'un enthousiasme pétillant. Lorsqu'elle me sourit ainsi, elle a également tendance à m'ébouriffer les cheveux et me dire :"Tu peux faire ce que tu veux !"
Et ce que je voulais à cette époque - et que je veux toujours depuis - c'est d'être née un garçon.
Sans doute avez-vous remarqué que le protaganiste de ma première histoire n'avait pas grand-chose en commun avec moi - notemment le fait qu'il était un garçon.
Peut-être le fait de n'avoir pas pu me lier avec les filles lors de ma scolarité me faisait penser que j'aurais eu plus chance si j'avais été garçon - pour me lier avec des gens de mon âge, j'entends. Car, même si je n'en comprenais pas la raison, je respectais le tabou amitié fille/garçon.
D'autre part, lorsque plus tard j'ai eu des amis - essentiellement masculins - ce désir d'être née un garçon ne s'est jamais estompé. Déjà, n'ayant jamais été un garçon, je ne peux qu'idéaliser ce qu'ils sont. Ensuite, les garçons ont une capacité de socialisation supérieure aux filles. Lors des voyages de groupes, tous les garçons se connaitront dès le premier jour, tandis que moi, certaines années, il y avait des gens dans ma classe dont je ne connaissais pas le nom. Ensuite, le sexisme social est à prendre en compte également. Enfin, peut-être que je ne connais que des garçons que j'admire et des femmes auxquelles je n'ai pas envie de ressembler. Enfin, c'est faux, je connais des garçons que je ne supporte pas.
J'ai tendance à penser que les enfants sont les êtres les plus égoistes, car leur conscience du monde n'est pas encore assez développée pour qu'ils soient purement altruistes. Les enfants s'imaginent un futur vague plein de bonheur - dans mon cas, je n'imaginais rien du tout, j'espérais que ma situation allait s'arranger.
Quelle situation ? Ma solitude qui me semblait irrémédiable, quoi qu'en dise ma mère. Mon incompréhension de la quasi totalité du monde qui m'entourait - du moins, cette impression de décalage. Ma difficulté à comprendre les attentes des autres.
Ma situation ne s'est jamais arrangée, mais je ne considère plus qu'elle ait besoin d'être modifiée. J'apprends à composer avec elle. Cerise est toujours là, mais je lui parle moins - elle a finit par exercer son métier de manière plus réaliste.
Malgré tout, elle reste la plus mature et la plus responsable de nous tous - c'est la figure d'autorité. Tout le monde la respecte, car elle a la sagesse de ceux qui ont obéit avant de commander. Elle est une adulte comme la société les aime - avec cette étincelle de malice dans les yeux.
Mais petite, encore floue, elle était simplement ma voix de la raison personnifiée, et m'empêchait de virer Berserk contre mes professeurs ou les autres élèves.
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Axolot, Doudou et moi
Non-FictionUne jeune femme atteinte de Trouble Dissociatif de l'Identité Non Spécifié raconte sa vie avec ses 17 autres fragments d'elle-même.