III - Yilia et Lâhrik

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Comment aborder Yilia ? Par le fait qu'elle était inspirée par une princesse de jeu vidéo ? Par le fait que c'est la seule de nous tous à constamment regarder les garçons et les filles en se demandant si nous ferions un bon couple ? Par le fait que c'est la partie de moi que j'ai longtemps un peu méprisée ?

Yilia n'était pas une amie imaginaire - pas plus que Cerise ou Lâhrik. C'était un personnage de jeu de rôle dans laquelle je me réfugiais quand je voulais adopter un comportement dont j'avais honte, ou peur des conséquences.

Il est intéressant de noter qu'aujourd'hui, ni Yilia, Cerise ou Lâhrik ne sont jamais sortis - ils restent dans ma tête, me parlent, donnent des conseils ou critiquent, mais jamais ils n'intéragissent physiquement.

Bref, Yilia est ma gossip girl - la seule à avoir goût aux ragots, la seule à juger les gens sur leur physique, à vouloir porter des vêtements ou du maquillage essentiellement pour faire comme les autres - ce que je ne fais jamais. Elle était inspirée d'une princesse, aussi je suppose que j'avais pris quelqu'un qui excellait dans l'art du paraître pour m'aider dans cette partie de moi qu'on pourrait qualifier de véritablement fille.

Yilia, c'est aussi mes deux premières histoires d'amour. Le premier était blond platine et avait des yeux bleus ayant fait tomber toutes les filles de la classe, moi y compris. Il était discret mais incroyablement gentil, et je l'avais même invité chez moi. Yilia et moi nous étions imaginé toutes sortes de scénarios sur sa venue, allant jusqu'au baiser - qui nous semblait l'ultime preuve d'amour, jeunes et innocentes comme nous étions. Mais sa venue fut annulée, à notre grand désespoir, et sa mère nous offrit un journal intime pour s'excuser.

Les conventions sociales sont encore quelques choses qui me fascinent. Personnellement, je n'ai jamais pu tenir un journal intime, et ce qui s'en rapproche le plus est le fichier où je note chacune de mes crises - déréalisation, black out etc. Pourquoi un adulte voudrait offrir un bien matériel pour compenser l'absence de temps passé avec une personne ? Ils se sentent obligés de s'excuser pour quelque chose dont 1. ils ne sont pas forcément responsables, ou 2. ils blessent volontairement la personne. Dans ce cas, par exemple, la solution logique était de reporter. Or, j'ai obtenu un journal intime, et silence radio. Si elle ne voulait pas que je vois son fils, pourquoi avoir accepté en premier lieu, si elle savait qu'elle allait me blesser dans tous les cas ? Ce n'est pas très correct. Je ne voulais pas d'un journal intime, je voulais ce garçon.
J'étais une enfant, et c'est ainsi que je l'ai perçu. Je conçois qu'elle avait eu un empêchement, mais les implications de ce mot sont dures à appréhender pour un enfant, car il ne sait pas encore ce que c'est que la vie, et les imprévus, car on ne lui a montré qu'une routine - école, dodo, manger, caca - pas nécessairement dans cet ordre.

Mais tous ces rejets par les gens de mon âge m'avaient un peu refroidis, et au final, j'avais fini par développer un genre de mépris pour les gens incapables de m'accepter telle que je suis. L'arrivée du Marquis a heureusement mis fin à cela.

Je me disais : puisqu'ils ne veulent pas accepter ma différence, pourquoi ferais-je l'effort d'être comme eux ? Et j'ai rejeté Yilia, qui était pourtant une partie de moi. Par orgueil, j'ai tenté de supprimer une partie de moi, simplement pour accentuer ma différence avec les autres, pour me dire que je n'avais aucun rapport avec ces gens que je méprisais. Je ne pouvais pas les mépriser si j'avais le même comportement, n'est-ce pas ?
Je sais qu'Yilia a souffert de cette éloignement, et qu'aujourd'hui, avec en plus le retour de Lâhrik, elle est encore plus seule. Mais elle est toujours là, et nous renouons tant bien que mal.

Malgré le fait qu'elle était ce qui pouvait le plus se rapprocher d'une camarade de mon âge, je ne me suis jamais sentie vraiment proche d'elle. Elle et Lâhrik, sans doute par leur sang royal, avaient quelque chose de distant, qui n'était pas vraiment moi, mais quelque chose que j'aspirais à devenir.
Quoique je ne crois pas avoir jamais souhaité être Lâhrik.

Lâhrik est apparu sans nom, il en a obtenu un il y a quelques années. C'était un prince perse, très silencieux, et avec cet éclat dans le regard, comme s'il était brisé à l'intérieur. Seule Yilia parvenait à y amener de la joie - ils étaient amoureux l'un de l'autre, mais je ne crois pas qu'ils ne le se soient jamais dit.

Lâhrik est l'un des rares fragments que j'ai créé à avoir une véritable histoire. Prince Perse capturé comme trophé de guerre, vendu comme esclave sexuel dans le royaume voisin, avant que la ville soit pillée et brûlé par des nomades qui l'emportèrent à leur tour. Une fois le désert traversé, il finit plombier sur les côtes du Magrebh, avant d'être libéré par un couple de français voulant en faire leur précepteur pour leur fils. Ais-je précisé que tout ceci se passe dans un univers parrallèle où l'Empire Perse a survécu jusqu'à la révolution industrielle ? Lâhrik, dont le meurtre de ses libérateurs fut mis sur son dos, fuit jusqu'à l'Angletterre, où il travailla dans une usine de voitures, jusqu'à ce qu'il fasse la connaissance d'Ana, une lady excentrique passionnée pour la mécanique. A partir de là, son histoire s'améliore nettement, et je ne vais pas détailler toutes les péripéties - peut-être un jour aurais-je le courage d'écrire ce livre.

Mais son passé traumatisant est resté gravé dans ses yeux, et il ne parlait presque jamais. Il était très gentil et compréhensif, mais il avait beaucoup de mal à s'ouvrir aux autres et à mettre des mots sur ce qu'il voulait effectivement dire.
J'ignore dans quel but j'avais créé Lâhrik. Il était beau comme un Dieu mais intervenait rarement, il avait une grande sagesse mais ne la partageait quasiment pas. Il se laissait dépérir, se refermant sur lui-même, et il serait probablement mort de tristesse s'il n'était pas rentré avant, incapable de revivre malgré les efforts que déployait Yilia. Sa disparition l'a d'ailleurs grandement affectée, mais elle a su s'en sortir.

Lâhrik est très lié à mon second coup de coeur, dont je parlerai dans le prochain chapitre, car tout deux dégageait cette même impression d'inaccessibilité, de supériorité enivrante.

Ces quatre premiers personnages, créés de manière floue et quasiment inconsciente durant la petite enfance, incarnent à mon avis les quatre aspects principaux régissant la vie d'un enfant : l'ignorance et l'innocence, dans la petite fille ; le besoin d'amour et de protection, grâce à Cerise ; l'amitié, le désir et la superficialité représentés par Yilia ; et l'apprentissage de la vie, les trahisons, et les leçons qu'on en tire, en Lâhrik.

Le fait qu'il soit le premier à être rentré me semble assez révélateur : j'ai finalement réussi à accepter pleinement que la vie était faite de leçons d'apprentissage, et que malgré les efforts déployés, on ne finissait jamais d'apprendre. Comprendre, pour construire, c'était Lâhrik.

Que restait-il pour moi, alors ? Tout ce qui n'est pas ce que je viens de citer : l'excentricité, la soif de connaissances, le besoin de savoir la vérité, et tous les pourquoi. Ma vie entière est un gigantesque pourquoi.

Jusqu'en CM2, j'ai fonctionné ainsi. De temps en temps, je repensais à ces ombres floues et protectrices, je leur demandais de l'aide, je jouais ou parlais avec elles lorsque j'étais seule, mais je me réfugiais surtout dans l'écriture. En fait, je n'ai jamais vraiment pris conscience de ces quatre-là jusqu'à cette année de CM2, car alors Cerise est tombée enceinte.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 22, 2018 ⏰

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Axolot, Doudou et moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant