Partie 1

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Du pain, des écouteurs, une rencontre

20 septembre 


Lundi soir, dix-huit heures quarante-sept. Fin de journée, début de semaine. Le métro était aussi plein qu'il l'était chaque soir, émanant une odeur lourde et fortes de corps serrés dans cet espace confiné. James cherchait ses écouteurs dans son sac. Il l'avait fouillé entièrement, ses doigts raclant le fond, graisseux et plein de miettes. Ils n'y étaient pas ; son portable était là, sur sa cuisse, Deezer était ouvert, sa playlist du moment prête être écoutée. Mais pas d'écouteurs. Il souffla lourdement.

Or, son voisin de métro avait des écouteurs et de ce qu'il voyait, une playlist plutôt similaire. Ils semblaient avoir le même âge, et sans aucun doute il venait tous les deux de la fac, ils étaient montés au même arrêt, celui près du bât 004, au milieu d'une mêlée d'étudiants fatigués et pressés. Alors son voisin de métro au regard le plus noir qu'il n'eut jamais vu, lui tendit un écouteur, et James l'accepta. Il mordit dans sa baguette de pain qu'il venait d'acheter comme tous les soirs, à la petite boulangerie, faisant l'angle de la rue. Il avait même failli en louper le métro, comme tous les soirs.


James reposa sa tête sur l'appui-tête de son siège, fermant les yeux. Il appréciât la musique tout simplement. Il sentit soudain que quelque chose tirait doucement sur sa main et ouvrant un œil, il son voisin arraché un bout de pain pour le porter à sa bouche. M'ouais. C'était bien parce qu'il lui avait prêté un écouteur.

Le lendemain, James avisa immédiatement son inconnu à l'arrêt de métro surpeuplé. Ils s'échangèrent deux ou trois regards qu'ils croyaient discrets. Montant dans leur rame, sans une parole, ils s'assirent côte à côte. Un écouteur, un bout de pain, et tout recommença.

James descendait deux stations après l'inconnu, et sur cette ligne, c'était beaucoup. Et il avait parfois du mal à le laisser descendre. Il voyait bien à quoi ressemblait le quartier et savait ce qu'on en disait. Ceux qui vivaient dans le quartier de la Maladrerie, rue de la Piperelle d'autant plus, n'était pas les mieux lotis. Et il n'était pas aveugle.

Certes, ce n'était qu'un inconnu, mais il voyait bien, les bleus et les écorchures sur ses bras et ses mains maigres. Il voyait bien comme il s'enfermait dans de lourds vêtements qui l'engloutissaient parfaitement. Mais James ne disait rien, jamais rien. Ils ne se disaient même pas bonjour, ils ignoraient le prénom de l'autre. Ils n'étaient que deux inconnus, partageant quelques minutes le quotidien de l'autre.


Le jeu dura des semaines. Sans un mot, jamais, pas besoin. Tout n'était que regards, parfois, James essayait, fixant les zébrures sur la gorge pâle, mais l'autre secouait la tête. Alors il se concentrait sur la musique et tendait sa baguette de pain. Son colloc, chaque soir le voyait revenir, le pain à moitié bouffé et un sourire à la con au visage. Mais James se taisait devant les questions de Ben qui faisait face à un mur. Bêtement, et sans même s'en rendre compte, ils tombaient pour l'autre.

James pouvait le soir, les yeux fermés, refaire le visage qu'il trouvait angélique et magnifique. Il pouvait plonger dans ce regard sans fond, cette noirceur sans reflet. Son regard comme une fosse, comme une tombe de son âme, insondable. Dans ses rêves, il caressait les bleus et les embrassait pour les soigner, et l'éloignait de tout ce qui lui faisait du mal.

Mais James se réveillait toujours au fond de lui, un peu triste de ne voir là qu'un simple rêve.

Alors ce jour-là, un matin de décembre, James prit une décision. Cela faisait maintenant deux mois. Deux mois à se voir presque tous les jours, et au cours desquels, durant les vacances, sans se le dire, ils s'étaient manqués. Ce matin-là, avant que les vacances de Noël n'arrivent, il se décida à lui parler.

Teatch Me Gently [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant