Bill

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J'ouvre la porte en soupirant. Je ne suis même pas encore rentré chez moi que je pense déjà au moment où je devrai repartir. Je passe le palier sans même essuyer mes pattes sur le tapis, marchant vers le salon en laissant plusieurs traces derrière moi. Je passe devant ma Ameline, qui ne me dispute même pas pour avoir salit le sol qu'elle vient surement de laver. Elle sait pertinemment que je ne suis pas au top de ma forme, alors elle laisse passer toutes mes fautes ; autant les traces de pattes sur le sol que les fois où je m'emporte et la gifle.

Elle ne se tait pas par peur, non. Elle est bien trop forte pour ça. Si elle ne dit rien, c'est pour que j'aille mieux, parce-qu'elle m'aime. Elle est au petit soin avec moi ; le dîner est prêt tous les soirs, la maison est absolument impeccable, et un magnifique sourire est toujours accroché à ses lèvres.

" Chéri.

Je lui adresse un bref sourire avant de traîner mes pattes dans le salon. Je m'affale sur le canapé et attrape la télécommande pour mettre une chaîne d'information au hasard, de toute manière elles parlent toute de la même misère dans le monde.

Ameline resurgit dans la pièce avec un plateau repas qu'elle a surement préparé bien avant que j'arrive. Elle me le dépose sur les genoux, je la remercie avec un sourire, sans même la regarder. Dieu que je m'en veux d'être aussi déprimé. Elle s'assoit à côté de moi et me caresse le bras.

- Comment s'était ce soir ? Demande-t-elle avec la voix d'une douceur que seule elle possède.

Je hausse les épaules en avalant mon repas sans même regarder de quoi il est composé.

- La routine chérie. Comme tous les soirs. Tu peux me prendre une bière ?

Elle se lève immédiatement et court dans la cuisine m'attraper une bouteille d'alcool dans le réfrigérateur, et me l'apporte dans la seconde. Je la décapsule en un coup de briquet et bois goulûment jusqu'à en vider la moitié.

- Raconte moi un peu.

Elle se rapproche un peu de moi et m'agrippe le bras. Souriante, elle attend que je lui déballe ma soirée de travail. Je vois très bien qu'elle s'en fiche. Elle veut juste me donner de l'importance, pour que je me sente mieux. Et ça me vexe presque de la voir faire semblant ainsi, tous les soirs. Je vois très bien que je lui inspire la pitié, et j'ai horreur de ça.

Mais je ne veux pas m'énerver. Ameline n'a pas à subir ma colère. Elle ne devrait même pas avoir à subir ma présence à ses côtés.

- Rien de bien fou. Je suis allé chez un gamin qui habite pas très loin. Il s'amuse à découper sa Peluche avec un scalpel, lui arracher son rembourrage et à la recoudre.

Ameline déglutit et fronce légèrement les sourcils. L'idée d'imaginer qu'un de nos semblables puissent être traité de la sorte la terrifie. C'est bien une des seules à ne jamais avoir été maltraité par ses anciens propriétaires.

- La peluche s'appelle Chloé, elle habite dans le même secteur que nous en plus. D'après elle, son proprio faisait ça car il veut devenir médecin.

- C'est horrible...

Quand je faisais des études, il y a plusieurs années de ça, je n'aurais jamais pensé finir ainsi. Mes parents me disaient de faire un métier avec un peu plus d'avenir, et mon Dieu comme je regrette de ne pas les avoir écouté. Aujourd'hui je me retrouve à travailler dans une agence pour Jouet en difficulté.

- Ça faisait plusieurs jours qu'elle n'avait pas donné signe de vie, l'agence s'est inquiétée, et il y avait de quoi. Je l'ai retrouvé sans ses pattes. Il lui manquait aussi une oreille.

Mon travail consiste à aller chez les propriétaires des jouets, dont ces derniers sont suspectés d'être violentés, et réussir à les sortir de là. Etant moi même un ourson en peluche relativement massif et ayant un goût prononcer pour aider mon prochain, j'étais persuadé que j'arriverai à m'épanouir dans ce travail.

- Quand je l'ai récupéré, elle ne pouvait plus marcher. J'ai réussi à trouver ses deux pattes, mais pas son oreille.

- Ils vont la remettre en forme ?

- Ouais, mais bon. Son oreille est resté introuvable, du coup impossible de lui remettre.

Ameline reste silencieuse maintenant. Son duvet est toujours étonnamment brillant, alors qu'elle est déjà passé par trois générations de propriétaire différents, avant de s'enfuir quand le dernier commençait à devenir un peu trop agressif. C'est une décision que bien trop de jouet n'arrive pas à prendre : quitter le domicile de leurs propriétaire quand celui-ci devient violent.

Je pense que c'est bien à cause de ça que je me sens aussi déprimé. Je passe mes journées à parler à des jouets qui se font arracher des membres, j'écoute leurs récits lugubres tandis que je dois rester impassible devant leurs paroles. Et quand je ne les écoute pas me raconter leurs vie de Jouets battus, je vais chercher leurs carcasse chez leurs propriétaire, en espérant que les employés de la "Remise en forme" arriveront à recoudre ou recoller les morceaux.

Je finis mon repas en silence, les yeux braqués sur la télévision. Ameline débarrasse mon plateau puis reste avec moi, attentionnée et délicate.

Vous vous demandez surement pourquoi les Jouets ne partent pas d'eux même quand ils sont en danger ? Parce-que malgré tout, ils aiment leurs propriétaire, ils veulent qu'ils s'amusent, ils veulent remplir leurs devoir de Jouet coûte de coûte. L'agence de Jouets en difficulté à été créer pour les sauver, mais la plupart de ceux qui viennent s'y rendent simplement pour trouver un peu de soutient face à ce qui les attendent une fois retourné chez eux. Très peu on la volonté de partir d'eux même, même après des années de violence et de torture.

Je finis ma bière d'un trait avant de partir dans la chambre, me laissant tombé sur le lit impeccablement fait. 

Chloé finira surement par demandé de retourner chez son propriétaire, comme ils le font presque tous. Et elle se fera déchiqueter une nouvelle fois, puis ça sera à moi qu'on demandera d'aller chercher sa carcasse, jusqu'à ce qu'elle cesse de vivre pour de bon.

Que m'est-il arrivé à moi, pour que je n'ai plus de propriétaire ? Longue histoire.

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