Six heure du matin, je suis déjà au travail. Mes yeux me piquent, mes mouvements sont lents. Ça fait longtemps que je ne suis pas venu travailler aussi tôt, je suis exténué ...
Je suis loin d'avoir le job le plus passionnant et épanouissant du monde, je suis un employé libre-service dans une grande distribution, depuis deux mois. Je tire mon chariot de manutention crasseux, range des centaines de rouleaux de papier-toilettes par ci, des dizaines de bidons de lessive par là. J'affiche un sourire forcé aux clients qui déambulent entre les rayons, mais je meurs d'envie de leurs faire manger l'essuie-tout que je suis en train déplacer quand je les entend hésiter dix minutes entre deux désodorisants.
Je jette un œil à ma montre à chaque fois que je le peux, ma journée de travail se termine à onze heure. Je continue de placer, replacer, enlever et remettre des centaines de produits en rayon en pensant au moment où je rentrerai chez moi. Ouais, ce travail n'est vraiment pas fait pour moi, mais si je veux continuer à m'acheter mon nécessaire de survie (essentiellement de la nourriture, de l'eau et des livres), je dois serrer les dents en continuant d'approvisionner ce stupide rayon entretien et sourire faussement sans réfléchir, aux personnes qui désirent acheter du PQ.
J'aimerai beaucoup vivre de ma passion, mais ce n'est pas une chose facile de nos jours. J'écris, beaucoup, tout le temps, et de tout ; des fictions, des essais, des nouvelles, de la poésie et même des textes de chanson. Mais aucune maisons d'éditions n'a l'air enchantées par mon travail. Ils disent que mes écrits font un peu vieux jeu, que ça n'intéresse personne. Les histoires de vampires marchent bien en ce moment, selon leurs dires, mais il est hors de question que je me mette à écrire sur ce sujet, Bram Stoker a déjà brillamment exploité ce terrain et Stephenie Meyer l'a rendu beaucoup trop mielleux. Donc je continue de noircir virtuellement des centaines de pages blanche, espérant qu'un jour un de mes projets leurs plaira.
Mais pour l'instant, j'ai finis ma journée de travail et j'attaque ma journée de plaisir, qui commence maintenant, sur le chemin du retour, dans le bus. Je sors presque religieusement un bouquin de mon sac, un sourire aux lèvres, l'ouvre, et me plonge dans un autre monde, dans celui que l'auteur m'offre à travers ses lignes. Aujourd'hui, c'est Mathias Malzieu qui m'offre un bout de sa vie. Je lis ses mots et, malgré que son histoire soit relativement triste, je ne peux m'empêcher d'avoir un sourire en l'imaginant en train de porter un vieux pyjama bleu à rayure, tel qu'il se décrit.
Le bus me dépose devant mon immeuble et je marche vers mon appartement en continuant ma lecture. Une fois arrivé chez moi, je ne perds pas une seconde ; je jette mes affaires sur le sofa en lambeau qui se trouve au milieu de mon minuscule salon et me précipite sur mon ordinateur. J'ouvre une page Internet et vais consulter mes mails, je dois absolument vérifier quelque chose.
Il y a quelque jours, j'ai envoyé le plus gros manuscrit que j'ai réalisé à une maison d'édition. C'est celui à qui j'ai consacré le plus de temps ; à vrai dire, je suis sur ce projet depuis deux ans maintenant. Je voulais qu'il soit parfait, j'ai donc allègrement pris mon temps. Mais je suis sur et certain que la maison d'édition m'a répondu favorablement, mon ouvrage est très bon, je le sais.
J'entre mes identifiants, je me connecte, clique sur ma boite de réception. La maison d'édition m'a répondu. J'ai un petit sursaut et me redresse sur ma chaise. J'hésite un moment à ouvrir le mail. Je suis persuadé qu'il est favorable, mais la peur s'amuse tout de même à faire des nœuds avec mon estomac. Je glisse mon curseur sur le mail et met une dizaine de secondes avant de cliquer dessus. La page se charge lentement, augmentant mon stress et mon impatience. La réponse se forme devant moi, petit à petit, jusqu'à ce que je puisse lire chaque mot que l'on m'a écrit.
"Monsieur,
Nous avons évalué le manuscrit "Douce étrangeté" que vous nous avez envoyé le 23 avril 2016.
Votre manuscrit a retenu toute notre attention, mais nous n'avons malheureusement pas pu le sélectionner pour une publication car il ne correspond pas à ce que nous recherchons pour le moment.
Toutefois, il n'est pas impossible que nous élargissions nos recherches dans les mois à venir, et, le cas échéant, votre manuscrit pourrait peut-être nous intéresser. Dans ce cas, nous vous recontacterions.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos meilleures salutations.
L'équipe éditoriale."
Mon morale fait une chute libre dans un trou sans fond. J'ai envie de crier et d'enfoncer mon poing dans l'écran, comme pour envoyer un coup virtuel à ceux qui m'ont écrient ce mail. Ils n'avaient pas le droit de le refuser. J'ai beaucoup trop travailler sur ce projet pour qu'il soit si simplement jeter aux oubliettes. Ils m'ont dit qu'ils n'étaient pas impossible que mon bouquin leurs plaise, mais je sais très bien que ça n'arrivera jamais. C'est juste une manière de dire "Ton bouquin, on l'aime pas. Ne te fais pas d'illusion.".
Je lâche ma souris, enlève la main de mon clavier et m'affale au fond de mon siège. Je relis encore une fois leurs message, histoire de bien me l'encrer au fond de l'esprit. Finalement, le trou dans lequel mon moral avait fait une chute a bien un fond, car je viens de le sentir s'écraser contre le sol et se briser en milles morceaux.
J'ouvre le fichier dans le quel se trouve mon manuscrit ; tous les chapitres sont rangés, triés, arrangés et corrigés des milliers de fois afin d'être parfait. Mais visiblement, ça n'a pas suffit. Maintenant, il me reste deux solutions ; la première est de continuer à perfectionner mon récit et le proposer à d'autre maison d'éditions. La deuxième est, à mon grand malheur, de renoncer à mon rêve et d'aller ranger du papier toilette pour l'éternité.
J'hésite. Est-ce-que s'acharner à écrire un récit pendant deux longues années et le peaufiner mots par mot, pour en suite le voir refuser par une maison d'édition en vaut la peine ? Je ne sais pas. Peut-être que d'autre maison l'accepterons ...
J'ouvre le premier chapitre et lis les premiers mots. Un petit sourire se dessine sur mes lèvres. C'est comme retomber devant des vieilles photos de moi quand j'étais enfant. C'était le début de tout, le début de mon rêve, de mon ambition naissante, de mon désir et ma soif d'écriture. Bien sure, le texte n'est pas exactement comme il était il y a deux ans, je l'est arrangé des milliers de fois, mais il reste tout de même le commencement de mes envies.
Finalement j'ouvre le deuxième chapitre et le lis d'une traite, ainsi que le troisième, le quatrième, et le cinquième. Je dévore tous les chapitres un par un.
Ce projet, ce manuscrit, c'est moi qui l'est créé. J'y est mit du temps, beaucoup de temps. J'ai renoncé à plusieurs heures de sommeil pour qu'il soit parfait à mes yeux.
Je jette un œil au livre de Mathias Malzieu posé sur mon bureau, à quelque centimètre de mon ordinateur. Peut-être que lui aussi a connu ça, qu'il a essuyé les refus avant de voir ses œuvres publiés. Je ne sais pas. J'aimerai qu'il soit là pour que je puisse lui demander son avis. J'imagine alors un monsieur Malzieu, assis sur mon sofa, en pyjama, me donnant conseil. Je rigole nerveusement.
Il est maintenant plus d'une heure du matin, et j'ai évidemment sommeil. Je n'ai pas envie d'aller me coucher, même si je commence à travailler à six heure. Je réfléchis encore à ce que je bien pouvoir faire de mon avenir. Je n'arrive pas à me décider, ce qui est plutôt stupide. J'aurais du me douter que j'essuierai les refus en proposant mon manuscrit aux maisons d'éditions, ils reçoivent surement des centaines de demande par jour, et certain sont peut-être meilleurs que le mien.
Je quitte mon canapé et ma télévision pour aller dans mon lit, toujours accompagné de Mathias Malzieu. Je m'allonge dans les draps et reprend ma lecture là où je m'étais arrêté sans trop arriver à suivre le récit. J'ai les idées beaucoup trop en désordre ce soir. Je corne la page du livre, le pose sur ma table de chevet et vais éteindre la lumière. Les bras croisés sur ma nuque, le regard fixant un point imaginaire dans le noir, j'essais d'arranger le bazar qui embrouille mon cerveau, sans succès. Je jette un œil au radio réveil ; il est presque trois heures maintenant, et il me reste environ deux heures de sommeil disponibles. Je ferme enfin les yeux.
Peut-être que Morphée trouvera une solution à mon problème, ou peut-être que je vais rêvé de Mathias Malzieu me soufflera la réponse , je ne sais pas. Mais pour l'instant, dans trois petites heures, je devrais être en pleine forme et souriant pour ranger du papier toilette.