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John venait juste de rentrer du travail. Comme à l'accoutumée, cela ne c'était pas bien passé, comment serait-ce possible avec un patron qui se faisait appeler « Big Boss » ? Depuis maintenant six ans, John travaillait pour une des premières sociétés d'audiovisuelle du pays, et il était harcelé par son directeur depuis autant de temps. Dès qu'il avait mis les pieds sous son bureau, Big Boss était venu l'accueillir et lui avait montré la couleur de son nouvel emploi. On fait profil bas, on effectue tout ce que les supérieurs nous disent et si l'on ne se pense pas heureux, on peut toujours prendre ses affaires et aller voir ailleurs. Et vu la crise actuelle, John savait qu'il ne fallait pas aller voir ailleurs. Alors chaque jour, la même rengaine, il rentrait du boulot totalement épuisé et sur les nerfs. La seule chose qu'il souhaitait étant de n'avoir à penser à rien, s'assoir et se vider l'esprit.

Heureusement pour lui, la boite où il travaillait développa un projet fort intéressant, il y a de cela quatre ans, qui révolutionna complètement le quotidien de toute la population, rien que ça. John prit même un peu part au concept en tant que conseiller en programme. Cette invention ne présenta à la base rien d'autre qu'une télévision. Jusque-là, rien de bien original. L'innovation eut lieu sur son fonctionnement. Au lieu de devoir choisir les chaines, quoi regarder ou quoi que ce soit, maintenant l'écran le réalisait à la place de ses utilisateurs.

Cette révolution ne devint pas un succès, mais un raz de marée. D'abord, tous les accros des nouveaux produits électroniques se jetèrent dessus, bientôt suivis par les ménagères puis par le reste de la population. Il faut imaginer le concept pour se rendre compte du changement que cela a pu entrainer dans les foyers. Une fois sur leur sofa, les gens n'eurent plus à choisir le programme qu'ils voulaient voir, la télévision s'en chargeait pour eux. Plus de décisions à prendre, un moment de pure détente, une vidange cérébrale en somme. Avec cette innovation apparut le système de relaxation ultime pour toute la population.

Un marché énorme se présentait étant donné que tout le monde possédait un poste. Les individus prirent plaisir à cette invention numérique. Elle prit vite le pas sur toutes les autres activités telles que le sport ou la lecture. En effet, dans ces deux domaines, les choix existaient encore. Quel sport choisir ? Où aller pour le faire ? Quel livre choisir ? Suis-je bien sûr de mon choix ? Ne vais-je pas le regretter ?

Avec ce nouveau poste, ces questions ne subsistaient plus désormais. Celle-ci étant directement reliée à l'esprit de son propriétaire, elle sait ce à quoi il pense et ce qu'il lui plairait de regarder pour le soulager sur le moment. Envie d'action ? L'écran vous trouve exactement le film qu'il vous fallait, qu'il passe sur une chaine ou qu'il soit sauvegardé sur votre disque dur. Les gens y prirent très vite goût, préférant de loin s'assoir et ne plus à prendre de décision que de risquer de réaliser autre chose et de peut être se décevoir sur le choix prit. Alors qu'avec la télévision nouvelle génération, plus de désillusion en vue.

Bien vite, les librairies fermèrent, les individus ne voulant plus se déplacer pour aller choisir un livre à acheter. De même, les salles de sport disposèrent de moins en moins d'adhérents. Le cinéma au contraire trouva de plus en plus de public. Quant aux téléréalités, c'en fut la réelle apogée. Ils se multiplièrent, abordant tous les sujets, les plus banals comme les très controversés. Ce développement put se créer étant donné la sécurité qu'avait apportée cette nouvelle télévision. Les grands groupes se permettaient d'essayer à peu près tout et n'importe quoi étant donné qu'ils obtiendraient au moins une petite part d'audience.

Même si John voyait les méfaits que cette invention pouvait causer sur la population, cela ne l'empêchait pas de s'en servir assidument et surtout quotidiennement en rentrant du travail. Une fois arrivé au salon, il trouva comme à l'accoutumée sa femme assise sur la table regardant son poste portatif. Elle ne lui dit même pas bonjour, mais cela n'importait pas, car John ne pensait qu'à se mettre devant sa télévision à lui et se vider l'esprit.

Il passa à côté de sa conjointe, ne la touchant pas, et alla s'écrouler sur le canapé. Il ne prit pas la peine d'enlever son manteau ou ses chaussures. Il souhaitait arrêter de réfléchir et se prostré devant sa boite à image. À peine posée, elle s'alluma directement sur un programme montrant les meilleurs moments de football de la veille. John adorait ce sport, profitant des matchs de Chelsea dès qu'il pouvait. Il préférait largement ça aux informations ou encore aux séries à l'eau de rose que son épouse pouvait apprécier. Certes, parfois la télévision lui mettait les d'actualités, mais uniquement parce qu'il souhaitait les regarder deux minutes pour voir si rien de grave ne s'était passé dans le pays. Une fois ce court laps de temps écoulé, retour au sport.

John et sa conjointe restèrent ainsi à quelques mètres l'un de l'autre pendant trois heures sans s'adresser la parole, le temps de finir leurs émissions et d'arriver au soir. L'heure du souper arrivée, le petit poste de la femme de John, Betty de son nom, changea de chaine et lui montra comment préparer un rôti de veau. À la fin de la recette, la télévision devint noire et la ménagère se leva et alla droit à la cuisine. John, quant à lui, resta bien prostré au fond de son canapé, toujours vêtu de son manteau, devant un autre match de football anglais.

Une heure et demie plus tard, l'écran de l'homme s'éteignit et sa conjointe apporta le repas sur la table à manger. Le couple dégusta le rôti de veau sans vraiment parler.

— Alors, comment était ta journée au boulot chéri ? demanda Betty.

— Rien d'extraordinaire. Le Boss m'a encore repris pour je sais plus quelle histoire.

— D'accord. Rien de grave au moins j'espère ?

— Pour tout te dire mon amour, j'ai un peu oublié de quoi il s'agissait.

Les deux époux rirent ensemble, un rire de façade. Ils finirent vite leur repas, débarrassèrent la table et retournèrent avec leurs postes respectifs. Ils ne voulaient surtout pas manquer les programmes du soir. John se retrouva devant le film d'action qui passait sur la première chaine, « La grande évasion ». Il ne se lassait pas de le revoir.

Cependant, au moment où Steve McQueen slalomait avec sa moto, la télévision s'éteignit d'un seul coup, laissant John dans un parfait désarroi. Il se dit tout d'abord que cela ressemblait à une nouvelle forme de publicité pour vanter les mérites de quelques ampoules très basse consommation. Mais quand même, elles n'éclairaient vraiment pas grand-chose ces ampoules ! Puis le petit instant se transforma en minute. John commença à transpirer. Que se passait-il ? Pourquoi diable son poste s'était-il éteint ? Il savait très bien ce à quoi il pensait à ce moment précis et en aucun cas il ne voulait arrêter de visionner son divertissement en plein milieu ! Les gouttes perlèrent le long de sa colonne vertébrale. Que devait-il faire dans pareille situation ? Devait-il appeler sa femme ? Un réparateur ?

Quand la peur de prendre une décision faillit atteindre son paroxysme, un bruit de moto retentit et le film de guerre refit son apparition, avec son héros chevauchant son destrier mécanique. John se détendit instantanément, se fondit dans son divan et se vida l'esprit, comme d'habitude.

Liber Video [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant