Brin

6 1 1
                                    

Étendu sur son lit, les attaches ancrées dans son matelas, il tourna le regard sur sa situation.
Cette maison s'était restreinte peu à peu sa une chambre, quatre murs blancs, impersonnels, creux. L'un d'eux percé d'une fenêtre, laissait voir le ciel sans pour autant transmettre autre chose que de la lumière des jours bleus, des nuits noires. Comme un écran.

Il se sentit étrangement enfermé, pris au piège entre ces murs. Une boîte. De plus en plus petite, elle se resserait lentement sur son corps. Les épaules, les poumons, si lentement qu'il ne sentait presque pas son corps s'étouffer. La tête, l'esprit. Oui son esprit était dans une boîte maintenant, faite de paresse, d'ennui, de solitude, de dégoût.
Sur l'écran, le ciel se couvrit de nuages livides, il prenait vie. Comme c'est curieux, cela n'était pas arriver depuis... depuis quand ?
C'est vrai, il tournait en rond depuis tant de jours bleus et de nuits noires, si vides d'expressions, mais depuis quand ?
Ses sens étaient si inanimés qu'il était devenu passif, comme le mur blanc.
Un coup d'oeil vif sur l'écran où germait un ouragan. Il fallait se mettre en mouvement, sortir de cette léthargie molle et lourde qui prenait le contrôle de ses pensées, l'engourdissait. Bouger. Se lever. Sortir. SORTIR.
Attrapant des chaussures, il traversa le couloir sombre. Quelqu'un surgit devant lui. Qui êtes vous pour bloquer cette envie qui germe dans le coeur ?
Il poussa cet obstacle comme s'il eut été une feuille de papier.

Il se saisit d'un vélo, vieux, bleu, un peu rouillé, un moyen d'aller ailleurs et plus vite. Il traversa la ville désertée par les autres. Restez dans vos boîtes, hommes de papier. Qui êtes vous pour faire face à la nature quand elle s'anime ? Vous n'avez pas de racines, votre matière s'imbibe d'eau, l'encre coule et vous êtes laids. Restez dans vos boîtes.
Il passa la dernière rangée de maisons. Creva l'écran. Respira.

Il pédalait maintenant sur une route très droite entre des champs à moissonner, dans lequel poussaient des mauvaises herbes tenaces qui avaient résisté à un acharnement chimique. Qui êtes vous pour prétendre dompter la nature, hommes de papiers ?

Il était un brin d'herbe un peu fou de cette sorte, il le sentait et il eut envie de pousser comme lui avec cette rage de vivre au seul moyen de sa force. Il pédalait vite, de plus en plus vite, le ciel se couvrait et se faisait menaçant mais qu'importe, son esprit sentait l'étau de la boîte se relâcher.
La pluie se mit à tomber brutallement, collant ses vêtements sur son corps et ses cheveux à ses yeux éclairés. Il sentait la chaleur de l'adrénaline monter dans ses jambes, son bassin, chauffer son ventre et son coeur.
Nourri par l'orage qui s'annonçait, par cette volonté d'être le brin effronté qui plit mais ne casse pas, il pédala, encore plus vite avec une frénésie folle. Brin fou ivre de vivre.

Le premier éclair frappa le sol. Un grand fracas. Il déchira l'atmosphère d'une telle force que les boîtes et les feuilles qu'elles contenaient furent ébranlées et leur encre se glaça.
Vous n'êtes rien pour affronter la nature, puissance embrasée qui a tous les droits sur vous et vous change en cendres, hommes de papier.
La tension résonna aussi dans le coeur du brin d'herbe, et les paroies qui entouraient son esprit se fissurèrent, laissant le vent et la pluie ranimer les pensées et s'unir à elles.
Il rit, le coeur ravi.

Le second éclair frappa le sol. Un grand fracas. Le couvercle s'était ouvert : il était l'orage, il était la vie et le jour était noir.

Des TrucsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant