Souvenirs d'enfance.

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Mon premier souvenir remonte à bien avant que je vienne au monde. C'est étrange, mais ce souvenir semble ancré, non pas dans ma mémoire mais dans mes veines. Je crois même avoir grandit et m'être construite dans ce souvenir. Si je devais décrire en un simple mot ce nuage de pensées abstraites qui inonde constamment mes pensées, ce serait : abandon. Ce fût un abandon total dès mon premier souffle. Lors de l'accouchement, ma mère avait été seule. J'étais née dans la solitude et dans la souffrance. Non pas cette souffrance qui précède le bonheur de donner la vie. Je suis née dans la rancœur, la colère. 


Je suis née, mais ma mère ne le voulait pas. 


Elle savait qu'elle ne serait pas en mesure de me donner de l'amour ou de l'affection, que les liens qui nous unissaient ne seraient que superficiels . Mon enfance, contrairement à ce qu'il pourrait paraître, fût tendre. En fait, je n'étais pas seule, mon grand frère a toujours été à mes côtés. Il m'était d'une grande aide lorsque ma mère oubliait de me changer, lorsque je faisais 40 de fièvre, lorsque j'ai appris à lire ou à écrire. Grâce à Thomas, je ne voyais pas la vie misérable que nous menions. 


Les jours où je n'avais rien à manger, il allait cueillir des fruits pour moi, ensuite il les baptisait d'un surnom bien sympathique. Chaque fruit avait une histoire qu'il me racontait avec beaucoup d'énergie. Puis il leur attribuait à chacun des pouvoirs que je pourrais avoir à mon tour si je prenais le temps de les déguster et de les apprécier. Les fois où il y avait des coupures d'eau ou d'électricité parce que ma mère ne pouvait plus payer ses factures, Thomas m'emmenait avec lui pour nous détendre au bord de la rivière et apprécier la lumière naturelle lorsque les journées étaient ensoleillées. Vivre sur une île m'a certainement beaucoup aidé à avoir cette enfance simple et heureuse.


Mon île, la Guadeloupe était encore un havre de paix à l'époque. Il y avait certes quelques faits divers, mais le virus de violence qui touche actuellement notre planète ne s'était pas encore propagé jusqu'ici. C'était une belle époque, l'époque du respect et de la tolérance. J'ai eu la chance de grandir dans cette société, car tout ce que ma mère manquait de m'enseigner, je l'apprenais en me socialisant. Il est vrai qu'elle m'enseignait peu de choses. Elle était bien trop fatiguée ou démoralisée pour cela . En fait, je n'ai pas manqué d'amour, j'ai manqué de sa présence. Toute ma vie, je l'ai vu être le fantôme d'elle-même. Elle avait souvent des absences. Plusieurs fois, elle avait manqué de me renverser alors que j'étais dans ses bras. Elle n'était pas une mauvaise mère, après tout ce n'était pas volontaire. Elle essayait tant bien que mal d'être là pour Thomas et moi, mais la dépression prenait souvent le dessus.


Nombre de choses se sont passées durant mon enfance, mais je ne m'étalerais pas là-dessus car ce fût certainement l'étape la moins malheureuse de ma vie. L'innocence est une arme pour l'âme. Elle est symbole de pureté et de naïveté et nous protège des maux de la société.  Malheureusement, cela ne dure pas longtemps, on connaît tous un événement particulier qui nous pousse plus ou moins violemment dans la réalité de notre condition, quelle qu'elle soit.


Pour moi, ce fût lorsque mon frère tenta de mettre fin à ses jours. Il avait 17 ans. Je n'avais jamais remarqué qu'il souffrait. Il était si fort . Personne n'avait entendu sa douleur, personne n'avait compris sa détresse. Je me sentais tellement coupable de ne pas avoir ressenti les peines de Thomas. Certes du haut de mes 10 ans, je ne pouvais pas savoir, mais j'aurai dû. Lorsque ma mère avait trouvé Thomas dans sa chambre complètement inerte, elle avait poussé un cri que je n'oublierai jamais. Elle l'avait serré si fort contre elle que je sentais moi aussi la force de cette étreinte.

Sept vies sans toi.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant