Le Maître et son Élève

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 Le vent caressait son visage, alors qu'elle effectuait une descente en piqué digne du plus majestueux oiseau existant. Un frisson de joie indomptable parcourut sa peau mate et la chatouilla, telle une plume joueuse et invisible, ses yeux s'ouvrirent un peu plus et un sourire naquit, sur son rond visage encore enfantin.

Elle perça une couverture de nuages blancs, avant d'apercevoir enfin sa destination : un petit hameau du nom de Vontaven, complètement isolé du reste du monde, et perché sur un pic rocheux pris en assaut par une dense et luxuriante forêt. Ses ailes immaculées battirent plus vite, et bientôt, elle se retrouva à quelques mètres au-dessus de Vontaven, le regard bas et la curiosité lui chuchotant de s'approcher un peu plus, afin de pouvoir admirer ces créatures, complexes mais faibles d'esprit à la fois, qu'étaient les humains. Le Soleil s'érigeait lentement, le chevalier de l'aube repoussa à contrecœur les divinités de la nuit puis se lança dans une douloureuse chasse interminable, à la recherche de son amour argenté.

— Halte-là, Morgane.

Elle virevolta instantanément. Un jeune homme ailé et au teint pâle la fixait de ses yeux bleu-gris sévères, de ses iris qui semblaient emprisonner une tempête en leur cœur, les bras croisés. Ses courts cheveux blonds étaient parfaitement bien coiffés, sans le moindre épi pour trahir sa chevelure ordonnée. Il n'était pas, certes, de taille titanesque, et ne possédait pas, par ailleurs, une carrure imposante, pourtant il était bien plus grand, et bien plus fort, qu'elle. Vêtu d'une toge d'un blanc parfait, qui s'arrêtait au niveau de ses genoux, une épée dorée reposait aussi contre sa hanche, accrochée à une ceinture marron.

La prénommée Morgane le regarda avec ses yeux vert-de-gris écartés par une envie de savoir constante. Contrairement à la coiffure du jeune homme, sa courte chevelure châtain clair était assez chaotique, avec des mèches rebelles qui se dressaient à droite, à gauche. L'ange s'approcha d'un pas d'elle, Morgane lui demanda enfin, d'une voix douce et innocente :

— Que se passe-t-il, Baptiste ?

— N'oublie pas qu'aujourd'hui n'est pas une journée banale, répondit calmement le jeune homme. J'ai le devoir d'observer la totalité de tes gestes, du plus important au plus futile, pour savoir si tu es digne d'être enfin une véritable Protectrice, même si ce n'est pas complètement moi qui décidera de ton sort. Ne me déçois pas.

Morgane hocha la tête, d'une façon déterminée.

— Je ne vous décevrai pas, maître !

— Ne fais pas de fausses promesses, je le verrai bien de mes propres yeux. Maintenant, va ! Va protéger le désarmé, va aider le désespéré, va soutenir le souffrant. Va accomplir ton devoir, future Protectrice !

Après ses mots, elle fonça sur le hameau au sommet du pic, ses ailes en arrière pour déchirer le ciel avec rapidité, comme une comète. Cela aurait pu être un spectacle magnifique et renversant, pour les humains, mais leurs yeux étaient aussi crédules que leurs hôtes.

Dans la pâleur de l'aurore, Morgane posa son pied nu sur une dalle glacée de la place principale de Vontaven. Elle regarda tout autour d'elle : les habitants du hameau se réveillaient lentement, des volets s'ouvrirent progressivement pendant que les plus téméraires sortaient déjà de leur demeure. Ainsi commença une nouvelle journée pour les simples humains qu'ils étaient, sans qu'aucun ne puisse se douter réellement qu'une entité angélique veillait sur eux.

Agile comme le vent, silencieuse comme la nuit, Morgane prit son envol et se dirigea vers une maison, coincée entre deux autres bâtisses, au plein centre d'une maigre ruelle. Elle passa sa tête par la fenêtre ouverte, découvrant alors une pièce qui semblait être une chambre, dans un désordre impossible à imaginer, ni même à décrire. L'ange aperçut aussi une femme ouvrant violemment une grande armoire en bois, avant de la vider de tous les vêtements qu'elle abritait.

— Bon sang, mais où l'ai-je encore mise ?! se plaignit cette femme, en mettant ses mains sur les hanches, les sourcils froncés, et le visage sculpté dans une expression préoccupée et frustrée. Ne me dis pas que j'ai encore égaré mon alliance, pour la troisième fois en deux semaines ? Mais où avais-je la tête, quand je l'ai quittée, hier soir ? Toujours je l'enlève, alors que je sais pertinemment que je ne la retrouverai pas avant de passer toute la maison au peigne fin... !

Morgane inspecta la salle rapidement, son regard s'arrêta sur une porte grandement ouverte. L'ange se faufila dans la maison puis traversa la chambre, avant de la quitter et de descendre un escalier. Elle se retrouva dans une vaste cuisine, l'ange chercha patiemment la cause de tous les problèmes de l'humaine, avant de tomber sur un objet scintillant qui attira immédiatement son attention.

Sur ce sol en bois usé par le temps, un anneau d'or pur gisait entre les saletés. Morgane le ramassa délicatement et, en entendant les pas précipités de l'humaine descendre l'escalier, elle posa la bague sur la table de la cuisine. La femme fit son apparition, et quand son regard se posa sur son alliance retrouvée miraculeusement, ses yeux s'écartèrent de stupeur.

— J'étais persuadée d'avoir déjà regardé, ici, dans cette pièce, pourtant ! lança-t-elle à elle-même, un large sourire peint sur le visage. C'est... ce n'est...

La femme laissa échapper un soupir soulagé, avant de joindre ses mains, paume contre paume, et de fermer les yeux.

— Cha, Sik, je Vous remercie. Je Vous remercie, Vous et le Protecteur que Vous avez envoyé pour moi, malgré mon problème si grotesque. Merci, merci infiniment.

Morgane ne put s'empêcher de sourire. Toute la reconnaissance que les humains pouvaient lui apporter, avec des tâches si banales ou bien plus dures et sérieuses, réchauffait son cœur angélique. Est-ce qu'un jour, tous les Protecteurs arriveraient-ils à apporter cette paix universelle qu'ils désiraient tant, à apaiser tous les maux du monde et à guider toutes ces âmes en peine ?

Puis un frisson la mordit, elle eut l'impression qu'un éclair la foudroyait. Morgane sortit de la demeure avec hâte, les ailes battantes et sa main gauche repliée sur le pommeau de son épée de fer, avant de se propulser dans les airs et de s'envoler. L'ange s'arrêta devant l'entrée de Vontaven, elle dégaina son arme luisante avant de poser ses pieds sur la terre boueuse du chemin. Sa longue toge couleur ivoire rencontra cette route mal entretenue, mais aucune trace ne perturba la pureté de son vêtement.

Au loin, elle les vit. Ses sourcils se froncèrent et ses doigts serrèrent la poignée de son arme, ils la serrèrent tellement fort que ses jointures en blanchirent. Morgane resta immobile pendant un court moment, les yeux rivés sur les bêtes qui s'approchaient en reniflant, sur ces loups monstrueux qui se léchaient les babines quand ils sentirent l'odeur de chair fraîche.

Mais leurs fourrures grisâtres se hérissèrent quand leurs yeux jaunes se posèrent sur l'ange. Les genoux pliés, les ailes déployées, Morgane était prête à bondir sur les monstres pour les éliminer, mais les créatures fuirent en courant, la queue entre leurs jambes, en gémissant de peur. L'ange les regarda abandonner leurs proies, en les jugeant silencieusement... si des bêtes aussi stupides et lâches que ces monstres pouvaient la voir, alors pourquoi les humains ne pouvaient pas se permettre ce privilège ?

Satisfaite malgré tout, l'ange rangea son arme et se dirigea vers le hameau, à l'affût du moindre problème qu'elle pouvait régler. L'ange poursuivit d'aider secrètement les humains, en repoussant quelques monstres bien trop curieux à certains moments, ou en évitant que l'un de ses protégés se blessât inconsciemment, sous le regard affiné et observateur de son professeur.

L'Épopée d'une ProtectriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant