Un dernier battement d'aile (Part.1)

8 0 2
                                    

"J'aimerai te dire d'être toi-même mais ça nous a presque tué la dernière fois." Voilà ce que se dit Ophélie tapie derrière les rochers. Une brise vint caresser son visage marqué par la vie. L'homme qui lui avait arraché le coeur sorti de la maison qu'elle épiait. Elle n'eu aucun mal à le reconnaître bien que vingt ans se soient écoulés. Malgrés un visage creusé par les rides et une chevelure grisonnante, il restait digne et dégageait toujours la même aura imposante. Dès leur première rencontre le charmant Nikola avait retenu son attention, lui qui dès qu'il faisait une apparition dans une pièce captait les regards de toutes les femmes et inspirait le respect à tous les hommes. Il avait croisé le chemin d'Ophélie lors d'un banquet estival. Elle avait déjà entendu parler de lui à maintes reprises, elle savait que si elle cédait à ses pulsion ce serait au prix d'une trahison. Pourtant, ce soir là, enivrée par la paix céleste et le vin qui coulait à flot, Ophélie s'était résolue, ce serait lui le prochain, lui et personne d'autre, peu importe le prix, elle ne pouvait pas renier sa personne et rejeter l'envie qui brûlait dans son coeur.

Une ombre se dessina derrière les colonnes de la maison la ramenant à l'instant présent. Vêtue d'une robe de voile blanc, la silhouette délicate de la femme qu'elle avait abusé apparu sur le bord des marches de la terrasse. La vieille créature ne pu retenir ses larmes, elle était restée des heures tapie dans l'ombre à attendre Charissa. Nikola la prit tendrement dans ses bras. Son coeur se serra et ses serres se crispèrent sur la roche dans un grincement strident . Elle était restée pendant des heures à scruter le bâtiment en contrebas, espérant apercevoir ne serait-ce qu'une mèche des cheveux bouclés de cette princesse. Comment avait-elle pu l'abandonner au profit de ses démons intérieurs? Ophélie payait le prix de ce choix fou depuis deux décennies. Elle arrachait quotidiennement le plumage de ses ailes, si bien que leur ossature était désormais à jour. Les quelques plumes qui restaient étaient couvertes de sang. Torturée par ses sentiments, elle ne sentait même plus la brûle du vent mordant sa chair apparente.

Si seulement Ophélie n'avait pas céder à la possessivité, Charissa n'aurait pas eu à souffrir. Des images de l'époque ou elle était une sirène fière, la plus sanguinaire et respectée de sa meute lui revinrent en mémoire. Pendant des années elle avait été admirée de ses consoeurs pour ses talents de chanteuse, pour ses aptitudes à attirer les marins dans la prairie d'ossements du troupeau afin de les exécuter. Un jour fatidique, bercée par la lassitude, exaspérée par la crédulité de ses victimes, l'orgueil l'avait poussé à évoluer. Les marins ne suffisaient plus, ils étaient une cible trop facile, en rute n'ayant pas vu de femelles depuis des mois voir des années, ils céderont à la voie la plus dysharmonieuse dans le seul espoir d'accomplir un rituel d'accouplement répugnant. Cherchant des proies qui lui offriraient plus de résistance, des victimes qui justifieraient l'admiration que ses comparses lui vouaient, en un jour funeste, la sirène divinisée scella son destin et rendit visite à Circé. La sorcière avait un coeur ténébreux, il fût aisé de la convaincre de lâcher un loup parmis dans la bergerie. Elle troqua les ailes d'ébène de son hôte contre une chevelure radieuse, ses griffes se muèrent en des mains délicates. Ce fût la première fois qu'Ophélie s'oubliait pour céder à ses vices primitifs. Habillée d'une illusion qui la faisait paraître angélique, elle comptait aller sur la terre ferme, et s'intégrer à la race humaine, qu'elle haïssait, pour des trophées. Peut-importe ce qu'il fallait sacrifier pourvu que la récompense en vaille la peine. En marchant sur terre, elle savait qu'elle trouverait des hommes qui sauraient contrôler leur désir, des mâles qui lui résisteraient, des proies avec lesquelles il faudrait batailler.

Ophélie foula le sol d'Athène pour la première fois par un soir d'hiver glacial. Sans son plumage, le vent lui lacérait le corps. La pluie lui pénétrait les os, glissant sur sa peau désespérément nue. La robe en voile fin qu'elle portait était une bien maigre protection contre les caprices du ciel. Alors qu'elle maudissait la faiblesse humaine, des sanglots lui parvinrent. Une pitoyable personne, gisant dans la boue, était entrain de se morfondre sur son sort. Cette femme avait l'air si frêle, si fragile, si crédule. Une cible parfaite qui l'aiderait à se fondre dans la société, il suffirait à la sirène de consoler la malheureuse puis de se lier avec elle. Se penchant au dessus du corps à moitié vivant, l'être démoniaque lui tendit la main afin de l'aider à se relever.

"- Quel mal peut ronger une femme aussi belle? " Les mots étaient venus naturellement. Le physique de l'inconnue l'avait frappé, elle était étrangement esthétique pour une humaine, une chevelure de boucles dorées encadrait un visage aux traits fin et à la peau d'albâtre. Elle était si blanche, presque cadavérique. Ophélie avait entendu des marins se targuer que les yeux sont le reflet de l'âme, qu'ils sont le miroir des émotions, qu'ils rendent les gens vivants. Les yeux d'acier de la jolie blonde n'étaient rien de tout cela, froide, à peine vivante. Prostrée dans son mutisme, si pure dans ses vêtements tachés de boue, elle était poétique. Si la sirène voulait se faire une place parmis les Hommes, elle devait pourtant briser le charme de cet instant et amener la belle à s'exprimer.

"Je ne vous veux pas de mal, je me nomme Ophélie laissez-moi vous porter secours. Dites moi au moins où vous habitez que je vous y raccompagne.

-Charissa, j'habite plus loins sur la côte." Furent les seuls mots qu'elle prononça. Les deux femmes avancèrent dans le silence glacial, Charissa montrant le chemin qui menait chez elle. Le silence devint une mélodie, le vent n'était plus glaciale mais jouait désormais les choeurs de cette douce partition.

La maison était très cossue, la façade immaculée et les tuiles rouges montraient clairement qu'une famille noble y habitait. La sirène regarda la femme qu'elle avait trouvé plus tôt dans les yeux, puis compris qu'il était temps de partir. Elle sentit un léger pincement lorsqu'elle se retourna, le charme du moment était sur le points de se briser. Une main retint son départ.

"Je... Mon frère est absent, je suis seule à la maison, pourriez vous rester, mon frère est en voyage, j'ai peur." Une bouffée d'air frais emplit les poumons d'Ophélie, l'éphémérité allait se prolonger un peu plus. Charissa pris un bain pour retirer la crasse qui entachait son corps puritain, puis les deux femmes se couchèrent dans le lit de l'hôte.

Trois mois passèrent, jour après jour, les ailes d'oiseau et l'instinct bestial d'Ophélie disparaissaient laissant place à un être de plus en plus humain. Elle passait son temps en compagnie de la douce Charissa, à chaque seconde, elles apprenaient à se connaître. L'une était harpiste, l'autre chanteuse, elles s'apprenaient chacunes leurs talents respectif et formaient un duo harmonieux. Le temps s'écoulait, l'une arrivait désormais à vivre avec l'éloignement de son frère, l'autre oubliait sa mission. Les deux muses s'inspiraient mutuellement, il était devenu essentiel pour elles de vivre ensemble. Celle qui était autrefois la reine des sirènes, qui vivait par vanité, découvrait que la tristesse de sa partenaire la blessait de plus en plus et que chaque éclair de joie qui passait dans ses yeux, était un précieux trésor. Ophélie ne se levait plus le matin en pensant à satisfaire son instinct irascible, dès le réveil, ses pensées se tournaient vers le visage si doux de Charissa. Mais ce bonheur si parfait fût bientôt gâché.

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Aug 19, 2018 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

Petites histoires en tous genresWhere stories live. Discover now