Emerald 4

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  « - Princesse Tsukiyo Mitsuki Hikari. Nous vous retrouvons enfin... » souffla l'homme à ma droite, visiblement soulagé de m'avoir trouvée.

Il fit un pas de plus vers moi, sa main tendue dans ma direction. Choquée, je fis un pas en arrière, désirant mettre de la distance entre nous au fur et à mesure qu'il tentait de la réduire. Comment pouvait-il me connaître ? Jusqu'ici, personne ne m'avait mise à jour. Tout allait de travers depuis ce matin. Pourtant, c'était un mardi ordinaire... Je m'étais levée tôt, avais choisi mes vêtements tout en parlant au téléphone avec Hana avant d'aller déjeuner pour ensuite la rejoindre. Ensemble, nous avions fait le chemin jusqu'à l'établissement, nous racontant les derniers potins, faisant mille hypothèses sur la composition des groupes. Une rentrée des classes comme les autres, en somme. Alors pourquoi cela tournait ainsi ? Allait-on encore me répondre qu'il s'agissait du destin ou d'une connerie du même genre ? Assez... Assez de ces justificatifs bancals et poussiéreux...

« - Qui... Qui êtes vous ? » m'enquis-je, tremblante.
« - Votre Père... Non, le royaume a besoin de vous. Nous avons reçu l'ordre de vous ramener, Mademoiselle. » répondit le second homme, tout aussi ému que le premier.

Cela ne me disait rien qui vaille. Pourquoi après toutes ces années ? S'il l'avait vraiment voulu, il aurait pu me retrouver bien avant, sans problèmes... Encore fallait-il qu'il daigne s'en donner les moyens. Retrouver sa fille ne devait pas être un motif suffisant. Ou alors seul mon pouvoir l'intéressait. Ce qui ne m'étonnerait guère, dans le fond.

« - Vous devez rentrer avec nous. Immédiatement. » décréta le premier homme, attrapant mon bras soudainement sans que je ne puisse l'esquiver.

Je tentais de me débattre, pour le faire lâcher prise, en vain. Sa poigne se resserra tel un étau autour de mon membre, m'arrachant un gémissement de douleur. De mon bras libre, je tentais de lui griffer le bras mais il s'empara de mon second poignet, m'intimant de me calmer. Je ne voulais pas y retourner... Pas après tous les sacrifices qu'avaient coûté mon évasion...

« - Lâchez-là ! » hurla une voix familière dans mon dos.

J'entendis derrière moi un bruit sourd, comme un violent coup asséné, puis des grognements de douleur et une respiration haletante. Quelqu'un venait à mon secours et, à ma grande surprise, ce fut bel et bien Karû qui asséna un violent coup de poing dans le visage de l'homme qui me retenait. Sous l'effet de la surprise, ce dernier me lâcha, n'ayant eu le temps de prévenir le coup tout en me maintenant captive. L'impact fut rude lorsqu'il heurta le sol à quelques mètres de moi. Secouée, je ne savais que faire et n'osais esquisser le moindre geste de fuite. Ce ne fut que lorsque Karû m'eut rejointe que je compris que j'étais tirée d'affaire, pour cette fois. Mais ces hommes finiraient par revenir. Ou bien d'autres seraient envoyés. Un cercle sans fin venait de commencer, de pair avec une année scolaire qui s'annonçait des plus mouvementées.

« - Tu as mal quelque part ? Mitsuki, ils t'ont fait du mal ? Réponds-moi ! » souffla doucement Karû, me relevant le menton pour croiser mon regard. « ça va aller ? Qui sont ces types ? Tu sais ce qu'ils te voulaient ? »

Sous le choc, je n'osais répondre. Aucun son ne daignait sortir de ma bouche et ma gorge était en feu. Déjà ma vue se brouillait, assaillie par un épais rideau de larmes incontrôlables. Tentant de lui répondre, je ne parvins qu'à hoqueter des paroles incompréhensibles. Non, décidément, je ne pouvais pas... L'idée même de devoir m'enfuir de nouveau s'insinuait dans tout mon être, parasitant mon cerveau et mon être tout entier. Fuir. Rentrer faire mes valises et partir. Le plus loin possible. Le plus vite... Avant qu'ils ne reviennent... Mettre le plus de distance entre nous.

« - Je sais bien que nous ne nous connaissons pas depuis bien longtemps mais... Si tu as besoin d'une oreille attentive ou d'un bras pour t'épauler, tu peux compter sur moi, tu sais ? » déclara Karû, me ramenant contre son torse pour me consoler. Il me caressa doucement le dos pour apaiser mes pleurs et étouffer ma douleur. Sans même un mot, il avait saisi la profondeur de ma détresse.

Les minutes passèrent, animées par le seul chant des oiseaux qui, insouciants, ne se doutaient même pas du drame qui se jouait sous leur perchoir. Calmement, Karû me caressait toujours tendrement le dos, patientant jusqu'à ce que je m'apaise. Je le remerciais en mon for intérieur d'avoir été là pour moi, de m'avoir défendue... mais aussi consolée. Sans un mot. Bien sûr il devait se poser de nombreuses questions, auxquelles je ne pouvais pas répondre, pour sa propre sécurité. Pourtant, je me sentais en sécurité dans ses bras. Une sérénité que je n'avais pas connue depuis longtemps renaissait en moi, me promettant des lendemains meilleurs. Ne pas s'inquiéter. Tout irait pour le mieux.. Si seulement cela pouvait être vrai...

« - Je sais que... Cela ne me regarde pas mais... Je dois te poser une question et je te serais reconnaissant si tu pouvais y répondre. Tu peux avoir tes secrets, je le conçois mais... Je dois savoir. »

Redressant la tête, je croisais son regard inquisiteur et opinais du chef, attendant qu'il me pose sa question. Je lui devais peut-être bien ça. Une réponse. Sans entrer dans les détails, cela ne pourrait pas lui faire de mal, sans doutes.

« - Pourquoi ces types t'ont appelée princesse, tout à l'heure ? »

La bouche grande ouverte, je repoussais violemment mon sauveur et titubais légèrement, déséquilibrée. Une réponse, oui. Aussi directe que celle-ci, non. Je pesais le pour et le contre, sous son regard insistant. Ces yeux... Il me rappelait tant Chiba... Je soufflais, me laissant envahir par la nostalgie et la tristesse des souvenirs qui affluaient malgré moi.

« - J'en suis une. Je ne suis pas d'ici. J'ai fui pour certaines raisons et... je ne tiens pas à t'exposer à un quelconque danger. Ces types voulaient me ramener chez moi, contre mon gré. Je te remercie de les en avoir empêché. Cependant, je ne peux rien te dire de plus...

- Je comprends... Je comprends mieux, à présent. » marmonna Karû, ne me quittant pas des yeux. Lui aussi semblait profondément troublé par la tournure des événements. Peut-être n'était-ce que mon imagination mais l'espace d'un instant, il me sembla que ses yeux brillaient d'une immense tristesse quand ils croisèrent les miens. « J'ignore encore beaucoup de choses à ton sujet mais ma proposition était sincère. Si tu as des ennuis, je te protégerai. Et puis, tu me rappelles quelqu'un que j'ai connu, il y a longtemps. Un oisillon tombé du nid qui peinait à se tenir sur ses pattes... Je m'en voudrais beaucoup s'il t'arrivait quelque chose à toi aussi. » m'avoua-t-il, se rapprochant de moi. Il déposa un baiser sur mon front et prit les devants, m'entraînant vers notre salle de classe. « Nous ferions mieux d'y aller, sinon il va nous enguirlander... et vue sa réputation, mieux vaut ne pas être dans son collimateur. »

• • •

« - Tiens, tiens, tiens. Vous daignez nous honorer de votre présence, jeunes gens ? » lâcha notre professeur principal, d'un air mauvais.

« - Veuillez pardonner notre retard, monsieur. Nous...

- Je ne veux pas savoir ce à quoi vous occupiez votre temps, jeune homme. » le coupa net la bourrique qui nous servait de professeur. « A votre âge, vous devriez avoir honte... Et vous aussi, mademoiselle ! Si vos études ne comptent pas à vos yeux, vous pouvez rentrer chez vous dès aujourd'hui.

- Ce n'est pas ce que vous croyez, monsieur. Nous...
- Je pensais avoir été clair, pourtant. Vous êtes renvoyés. Vous viendrez en colle demain matin nettoyer cette salle de fond en comble. En attendant, j'attends de vous que vous réfléchissiez à votre écart de conduite d'aujourd'hui. Vos batifolages inutiles ne devront jamais plus interférer dans vos études. Suis-je bien clair, jeunes gens ? »

Nous opinions du chef, ne sachant trop que répondre. Pâle comme la mort, sous les regards noirs des jeunes filles de notre classe, Karû m'entraîna dans le couloir pour me raccompagner, puisque notre présence n'était pas désirée en ce lieu. Renvoyés. Le premier jour. Je n'osais y croire. Décidément, cette journée me resterait en travers de la gorge et ce, pour longtemps...

The love of the moonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant