L'emménagement

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C'est une nouvelle vie qui commence pour moi en ce caniculaire été. Les températures avoisinent les 40° à l'ombre et mes parents, mon frère aîné et moi, nous suons comme nous n'avons jamais sué auparavant.
Le camion de déménagement est garé devant l'immense demeure victorienne depuis ce matin, à l'aube. Plus vite fait, plus vite tranquille, selon ma mère. Je ne sais même pas comment la qualifier, pour dire vrai. Une tornade ? C'est certainement le meilleur qualificatif. Elle donne ses directives à tout-va et pendant que les hommes, soit mon père et mon frère, s'occupe de décharger le camion et de monter les meubles, elle m'a assignée au rangement, avec elle. À chaque meuble monté, un carton lui est attitré. Très minutieuse et organisée, elle a emballé nos affaires de façon à ce que l'on s'y retrouve facilement. Ce n'est pas plus mal, dans un sens. Ce qui me chagrine le plus, c'est qu'elle crie sans cesse parce que rien ne fonctionne comme elle le souhaite.


-Phoenix ! Qu'est-ce que tu fabriques ?


Phoenix, qu'est-ce que tu fabriques ? C'est une bonne question. La chaleur est étouffante et il est à peine dix heures du matin, je suis fatiguée parce que j'ai veillé tard une bonne partie de la nuit, à bouquiner parce que je suis du genre insomniaque, j'ai faim parce que je n'ai pas eu le temps de prendre mon petit-déjeuner, vu que j'ai eu beaucoup de difficulté à me réveiller et je n'ai pas envie de mettre la main à la patte, tout simplement.
Mon insomnie, je la dois à mes réflexions que je ne contrôle pas. Je n'arrive pas à cesser de penser. J'ai toujours quelque chose qui me trotte dans la tête. Pourquoi j'ai fait ça ? Comment va se dérouler ma journée de demain ? Ai-je bien rédigé mes lettres de motivation ? Mon curriculum vitae est-il à la hauteur des exigences de mes potentiels employeurs ? Tout ça, ce n'est rien. Ce ne sont que des exemples parmi tant d'autre.



-Je me dore la pilule au soleil, ça ne se voit pas, maman ?



Ce regard noir qu'elle me jette en dit long sur ce qu'elle compte me faire endurer pour ce genre de réponse. Elle est encore plus furieuse, je le vois à cette vilaine veine bleuâtre qui gonfle sur sa tempe gauche. C'est mauvais signe. Si je dois faire une nouvelle comparaison, je serai tenté de la comparer à Monica Geller. Elles sont pareilles, niveau personnalité. Un côté obsessionnel poussé à son paroxysme. Une obsession pour la propreté et un goût prononcé pour le ménage et le rangement. Dois-je souligner le côté hyper-compétiteur qui se joint à ce joli panel ?



-Ça va, j'arrive, redescends.



Redescends de quelques étages, maman, ouais. J'arrive pour jouer le parfait petit toutou bien dressé et je te donne un coup de main. Ce n'est pas comme si j'avais le choix. Je les sens, les regards amusés de mon père et de mon frère face à la situation, mais ce qu'ils ne savent pas, c'est que bientôt, leur tour arrivera. D'ailleurs, maintenant qu'ils sont dans son champ de vision, j'ai plus qu'à décompter dans ma tête. Trois... Deux... Un...



-Erik ? Jax ? Bougez-vous !



Et ils s'exécutent comme des animaux de compagnie bien dressés eux aussi. C'est à moi d'avoir cet air amusé sur le visage quand je croise leurs regards paniqués. Si nous excluons tout ce que je viens de mentionner au sujet de ma mère, c'est un ange. C'est l'exemple maternel type en dehors de ses tocs. C'est une mère de famille qui a toujours tout fait pour sa famille et qui ne s'arrêtera certainement jamais de le faire jusqu'à ce qu'elle rende son dernier souffle. Je suis certaine que même six pieds sous terre entre quatre planches, elle ne cessera jamais de nous hanter. Elle est belle. Elle est souriante. Elle est gentille. Elle est généreuse. Elle est aux petits soins pour nous. En temps normal, nous n'avons qu'à profiter de ses bonnes grâces. Là encore, je vais la comparer à un personnage de série télévisée : Bree Van de Kamp. Je ne vois que les bons côtés de la Desperate Housewives parce que ma mère, elle n'est ni alcoolique, ni dépressive et encore moins sur le point d'abattre mon père ou d'abandonner l'un de ses enfants sur le bord de la route sous prétexte qu'il est homosexuel ou qu'elle n'arrive plus à le gérer. C'est bien ainsi que ça se passe dans la série ? À quelques détails, près, il me semble que oui, je n'ai tout bonnement pas réellement suivi cette bouse, comme j'aime tant la qualifier. Je suis plus du genre à me poser dans mon lit, après une longue journée, devant Netflix et à surfer des heures pour trouver mon bonheur. Mes perles rares, je les ai trouvées. American Horror Story. Friends. Orange is the New Black. Sons of Anarchy. The Big Bang Theory. The Walking Dead. Bref...
Je me bouge parce que les premiers meubles commencent à pointer le bout de leur nez. La cuisine prend forme. Une cuisine américaine comme nous en voyons tellement dans ces téléfilms qui passe l'après-midi sur les chaînes les plus connues. Seigneur... Je suis comme ma mère. J'ai des troubles obsessionnels et les miens, ce sont les comparaisons cinématographiques. Il faut vraiment que je pense à rectifier tout ça. C'est ma nouvelle réflexion du moment pendant que je déballe un carton sur lequel est écrit au marqueur noir et en lettre grasse « VAISSELLE ». Assiette par assiette, verre par verre, je défais le papier bulle qui les protège et je range les pièces à l'endroit précis où elles doivent être rangées selon ma chère maman.


- Je m'en sors bien ? J'aurai le droit à une friandise ?


Je remue ma queue imaginaire en souriant bêtement. Mon ironie et mon sarcasme ont le mérite de la faire sourire et ça, ça vaut tout l'or du monde.



- Ne sois pas bête, ma chérie, tu me connais.


Je ne dois pas être bête, mais elle vient quand même m'ébouriffer les cheveux comme elle caresserait la tête de Nalah, notre chienne. Un magnifique Husky Sibérien aux yeux d'un bleu aussi clair que celui de l'océan. Cette chienne, c'est le bébé de la famille. Le petit dernier. Elle va avoir onze ans. Nous l'avons adoptée dans un refuge animalier. Une portée que la propriétaire de l'animal n'a pas été en mesure d'assumer. D'après l'histoire, elle aurait abandonné les chiots, de pures races, soulignons-le, au pas de la porte de l'établissement animalier. S'ils ont fait son malheur, chez les autres, ça a été tout le contraire.
La journée bat son plein. Les cris de ma mère et les ordres qu'elle lance à tout bout de champ, ont fini par porter leur fruit parce qu'aux alentours de minuit, tout est en place. Je parle bien évidemment du mobilier et des pièces principales comme la cuisine, la salle à manger et le salon. En ce qui concerne les chambres de chacun et leur salle de bain privée, c'est aux propriétaires de s'en occuper. Je me laisse tomber sur mon lit avec pour objectif de m'occuper de mes appartements demain, au lever du jour. Je suis bien trop épuisée pour dîner, mais pas suffisamment pour omettre de me faire un brin de toilette et de me coucher.

La maison de l'horreurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant