Les années avaient passé. Les corps décharnés de mendiants, de drogués et autres malheureux s'entassaient sur le sol, les défunts laissant la place aux jeunes.
Marina, Anja et Miadana étaient toujours dans leur quartier comme enchaînés par d'invisibles racines au même arbre du péché que les autres. Toujours est-il qu'eux trois se tenaient droit le long d'un mur. Leur mur.
Ils étaient quelquepart différents. Quand les autres répétaient en continu les cancans du quartier, eux parlaient de pays lointains, voire connus d'eux seuls à travers leurs lectures. Ils parlaient de politique, d'utopie, d'une certaine manière ils étaient déjà plus là. Évaporés pour le commun des mortels...
Dans la rue qui traversait le quartier, on avait toujours vu toujours les mêmes voitures, des vieilles Renault, les mêmes ménagères faisant leurs courses avec leur ribambelle de gamins, les mêmes chiens, des bâtards, jusqu'en ce jour où s'arrêta sur le parking de l'épicier, une voiture américaine. Un homme en costume et lunettes noires en sortit et commença à regarder sous le capot. Des silhouettes inconnues se tenaient à l'arrière. Le chauffeur constata qu'il ne pouvait rien faire et fit donc appeler une dépanneuse. Il faisait extrêmement chaud, mais le chauffeur insista pour que les passagers ne sortent pas du véhicule. Les badauds commençaient à s'agglutiner autour du véhicule, mais avec les vitres teintées, pas moyen de capter un regard...
Finalement, la dépanneuse arriva. Les portes s'ouvrirent enfin. Un homme visiblement très riche en sortit, puis une jeune fille comme un papillon quitte son cocon...
Dans ce pays, personne n'avait jamais vu une européenne et encore moins aux cheveux blonds !
Tout le quartier retint son souffle, mais n'en pensait pas moins.
Les trois cousins d'ordinaire indifférents à tout événement du quartier étaient piqués au vif de leur curiosité. Les garçons n'étaient déjà plus eux-mêmes, alors Miadana lâcha cyniquement :
- Détendez-vous, je ne pense pas qu'elle soit exactement une révolutionnaire...
- Ouais, t'as sans doute raison, admit Anja en riant de sa propre émotion, mais Marina passa de sérieux à solennel :
- Elle n'est pas révolutionnaire, elle est la révolution !
Sa cousine le regarda inquiète, elle ne lui avait connu qu'une fois cet air bizarre dans la vie et il s'en était suivi bien des malheurs...
- Qu'est-ce qui te prend ?
Il la regarda avec tristesse :
- On n'a plus l'âge que tu t'inquiètes pour moi.
Puis, il les quitta pour se diriger vers le groupe d'européens, dont la situation ne s'arrangeait pas avec l'arrivée du dépanneur, incapable de les dépanner.
- Puis-je vous être utile ?
- Ah ! s'exclama le père ! Enfin quelqu'un qui parle français ! Tu... vous ne pourriez pas nous trouver une voiture... La nôtre est condamnée semble-t-il...
- Oui, je vais vous indiquer l'adresse d'un tax...
- Ce serait gentil de nous accompagner mon garçon...
- Hmm certainement, fit Marina en s'exécutant automatiquement.
Chacun dans le quartier les suivit du regard en train e s'éloigner et sut que quelquechose était en train de changer... Le taxi les déposa à l'hotel. Sur l'insistance du richissime touriste, Marina accompagna ses hôtes au restaurant et comme le ciel homme devait raconter ses déboires aux touristes, on le flanqua à une table avec la jeune fille...
Elle ne parlait pas. Lui non plus. Mais il contemplait intensément, en détournant le regard chaque fois qu'elle s'en apercevait. Cela finit par mettre le feu aux poudres.
- Pourquoi me fixez-vous ainsi ? Ne savez-vous pas que c'est hautement impoli ?
- Si je ne le sais que trop bien...
Choquée de la réponse, elle rougit et se mura dans son silence, il fut obligé d'allonger sa réponse...
- ...mais vous devez comprendre que je n'ai jamais vu quelqu'un comme vous...
- Moi mais je suis comme toutes les filles...
- J'en doute fort...
- En tout cas, je vous assure que là d'où je viens, personne ne me remarque !
- C'est un monde bien étrange alors !
- Étrange je ne sais pas, disons que c'est juste ultra-bourgeois... Là-bas tout le monde s'habille ainsi, marche ainsi, mange ainsi...
- Ça doit être trop bien, n'est-ce pas ?
- Je ne sais pas...
- En vérité ?
- Hmm en vérité... ce n'est pas si bien que ça ?
- Mais... vous avez tout ! Non ?
- Mouais ! C'est ce que tout le monde pense, vous n'imaginez pas comme c'est ennuyeux... Parfois, je voudrais quitter ce monde...
- Vous... voulez quitter ce monde !?
- Oh laissez tomber, vous ne pouvez pas comprendre, je vais retourner voir mon père...
- Attendez ! Vous voulez quitter votre monde... et moi le mien ! Qui pourrait mieux vous comprendre ?
Elle sourit.
- Mais vous vivez dans un monde paradisiaque ! Sauvage, naturel, magnifique !
- Oui d'un certain point de vue... mais nos congénères sont des endormis, ils se liassent faire pour tout, ils n'ont aucune conscience...
- Croyez-vous qu'il en aille autrement en Europe ?
- Certainement...
- Certainement pas. Je n'y ai jamais rencontré quelqu'un comme vous.
- ...?
- Quelqu'un qui se pose réellement ces questions-là...
À ce stade de la conversation, Marina n'avait fait que ressortit les idées qu'il rabâchait à longueur de journée avec ses cousins, tant il était impressionné par cette femme suprêmement belle ; mais quand lui avoua n'avoir jamais rencontré d'être tel que lui, il réalisa soudain ce qu'il était pour elle. Lui-même serait sans doute tombé en pâmoison devant n'importe quelle occidentale pourvu qu'elle fût la première qu'il rencontrât, mais c'était une partition bien différente qui résonnait en la jeune fille. Elle avait probablement déjà beaucoup voyagé de par le monde, ce n'était pas la première fois qu'un autochtone lui faisait les yeux doux, mais visiblement elle n'en avait jamais encouragé aucun. Dans un éclair de lucidité jamais paru, il comprit qu'elle pensait chaque mot de ce qu'elle venait de lui dire. Mieux, elle était incapable de mentir. C'était une véritable euménide !
À ce moment, elle aussi devint pour lui unique !
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ANARK'YS
General FictionUn monde de paroles et de souffrances travesties... Un océan de monstres psychopathologiques... Une humanité brûlée par son silence... Qu'apportera le grand Soir... Sinon l'Anarchie spirituelle ?