Prologue

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JOUR II AVANT LES IDES DE GERMANICUS DCCCXX AUC - MILIEU DE LA NUIT

Un sursaut me sort du sommeil. Dressé sur ma couche, je sens une indicible terreur me parcourir l'échine, tel un serpent pernicieux. Je ne me souviens pourtant pas avoir été en proie à de mauvais songes.

Non, ce sentiment vient d'ailleurs.

Je comprends rapidement alors que mon esprit émerge des brumes du sommeil.

Le silence.

J'ai vécu toute ma vie dans des villas et des palais fourmillant de serviteurs, de soldats, de clients. Et maintenant, pour la première fois de mon existence, je n'entend rien. Seuls les battements frénétiques de mon propre cur me permettent de réaliser la situation.

Je suis seul.

Je ne parle pas seulement de la chambre. Il n'y a plus personne dans les alentours. Je peux le sentir. Me voilà sans protection. Cela ne peut signifier qu'une seule chose.

Pas de temps à perdre. D'un geste, je rejette les couvertures et saute du lit. Me voici courant à travers la villa, pieds nus dans mon habit de nuit. J'ai l'impression d'avoir passé ma vie à courir après mon destin. Que les choses finissent ainsi ressembler à une mauvaise blague des dieux.

J'arrive aux jardins.

Personne.

La sueur commence à perler sur mon front alors que je force mes pas vers le corps de garde.

Personne.

Pas même l'ombre d'un prétorien.

Mes craintes deviennent réalité. La place est prête à accueillir mes assassins.

Mes pensées se troublent et je pers ma faculté à la réflexion en faveur de la panique. Sans même m'en rendre compte, je me met à crier à l'attention de qui pourrait encore m'entendre. Je n'obtient aucune autre réponse que le battement frénétique de mes pulsations cardiaques, résonnant dans mes tempes comme une funeste mélodie.

Je suis seul.

Trahi.

Abandonné.

Le ciel de cette nuit est lourd d'épais nuages menaçant et un vent glacial ne tarde pas à se lever. Il me semble entendre dans son souffle le rire moqueur de ma mère.

« Même aux enfers, tu as fomenté ta revanche, n'est-ce pas ? »

Je hurle cette phrase au vent alors que mes entrailles se serrent de terreur, poursuivant sans but ma course folle à travers le domaine.

Que faire? Je ne parviens toujours pas à réfléchir correctement. Dans ma tête, je n'entend que ce ricanement accompagner mes cris désespérés.

Puis, alors que mes pas m'ont ramenés aux abords de l'entrée de la villa, je vois des ombres s'y mouvoir.

Ils sont donc déjà là.

Révélé par mes propres lamentations, je les vois se tourner et accourir dans ma direction. A bout de souffle, je laisse mes jambes céder à leur tremblement. Alors qu'ils approchent, je parviens mieux à distinguer leur nombre. Cinq ? Non, six. Peut-être sept. Peu importe après tout.

Pourquoi courent-ils ainsi?

Je suis tombé à genoux, abandonné au désespoir, les yeux humidifiés par une veine colère. Inutile de se précipiter. Je ne fuirai pas. Je n'ai plus nulle part où aller.

- Imperator ! S'écrit une voix qui me semble familière.

Les convulsions de mon corps s'évanouissent instantanément sous l'effet de la surprise.

La bouche et le coeur - Journal d'un empereurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant