01. Photographie (Mars 2010)

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–  Merci mille fois Alice, sans toi j'étais morte ! Tu ne peux même pas imaginer à quel point tu me sauves la vie !

Jade me fit un grand sourire avant de replonger la tête dans un carton qu'elle se mit à fouiller activement. Elle en sortit des carnets, des vieux CD, une pile de magazines et quelques livres cornés.

–  Tu me remercieras quand on aura trouvé. Vu le bordel que j'ai entassé, je ne te promets rien...

Je reposai un peu trop brutalement la boite remplie de bibelots que je venais d'inspecter. Le fond lâcha, laissant échapper un collier usé fait de grosses perles de bois. Le fil qui les retenait céda, répandant son contenu sur le sol. Je grommelai avant de m'agenouiller pour retrouver les fugitives. J'avais vraiment un problème d'accumulation compulsive : si j'avais jeté cette horreur au lieu de le fourrer au fond d'un carton, j'aurais pu passer ma journée autrement qu'à quatre pattes au milieu de mon salon. Je me saisis de la dernière perle et jetai rageusement le contenu de ma récolte dans la poubelle. Un petit pas pour moi, un grand pas vers l'organisation !

Si passer en revue les vieilleries que j'avais accumulées au fil des années me mettait de mauvaise humeur, ce ne semblait pas être le cas de mon amie. Jade semblait s'éclater comme une petite folle au fil de ses découvertes.

–  Si je t'entends te moquer encore une fois, je te laisse te débrouiller avec ton rédacteur en chef ! lui lançai-je, mi amusée, mi agacée.

Jade écrivait pour un quotidien régional. Assignée pendant plusieurs années à la rubrique faits-divers et chats écrasés, elle avait enfin reçu la promotion tant attendue. Elle avait à présent le privilège de participer à la chronique « Ces destinations de vacances qui nous font rêver» publiée chaque dimanche dans le supplément qui accompagnait le journal. Mais la poisse de mon amie était légendaire... Après quelques jours passés au sud de la Floride, sur l'archipel des Keys, elle était revenue avec un article dont elle était fière et une carte SD pleine à craquer de photos pour l'illustrer. Carte qu'elle avait accidentellement formatée le lendemain de son retour, perdant ainsi la moitié de son travail.

Heureusement pour Jade, j'avais pris des tonnes de photos lors de mon séjour à Key West, six ans plus tôt. Si les îles avaient sûrement changé entre temps, leurs plages de sable fin restaient les mêmes. Mon obsession pour la photographie amateur, qui jusque-là ne servait qu'à prendre de la place sur mes disques durs, trouverait enfin un sens. A condition de retrouver où étaient stockées les dites photos...

Après avoir fouillé mon appartement de fond en comble, j'avais dû me rendre à l'évidence : je ne les trouverais pas ici. J'avais donc fait le trajet jusqu'à chez mes parents la veille pour récupérer une partie des affaires que j'avais laissées derrière moi lorsque j'avais quitté le domicile familial. Mon salon minuscule ressemblait à présent à un vide-grenier. Les sauvegardes de mon vieil ordinateur se trouvaient sûrement quelque part parmi cette pile de souvenirs que je n'avais pas particulièrement envie de ressasser. Qu'est-ce je n'aurais pas fait par amitié...

– Je crois que j'ai trouvé ! s'écria soudain Jade en brandissant un objet rectangulaire
argenté couvert de poussière. Maintenant on croise les doigts pour qu'il marche encore, sinon je suis bonne pour piquer des photos sur Google... et me faire virer dans la foulée pour non-respect des copyrights.

Pendant que mon amie tentait de connecter le Saint Graal à son ordinateur portable, je continuai à mettre un peu d'ordre autour de moi. J'étais en train de parcourir de vieilles lettres quand j'entendis un cri de satisfaction retentir.

– Périphérique connecté ! Oh yay baby ! J'ai jamais été aussi excitée de voir ces mots s'afficher sur mon écran ! Je le sens bien !

Je la regardai s'agiter avec amusement avant de me replonger dans ma lecture. Jade était aussi expansive que j'étais discrète. Nous nous connaissions depuis un petit moment maintenant et j'appréciais toujours autant son extravagance et son côté enjoué. Nous avions énormément de passions communes et nous pouvions passer des heures à bavarder sans voir le temps passer. Elle me faisait mourir de rire avec son humour désastreux, il n'y avait rien de mieux pour illuminer mon quotidien.

Je t'oublieraiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant