6. Regards entre deux mondes

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            C'était la nuit. Tout était là pour en témoigner. L'ombre s'était étalée sur la ville entière, bien au-delà des frontières. Comme une trace d'encre sur une feuille vierge. Certains auraient pu y voir la laideur, une bavure macabre. Mais pas Jimin !

Depuis peu, il avait appris à apprécier ces moments de calme. Le règne muet de la Lune, haute dans le ciel et fière de sa grandeur retrouvée. La lourdeur de l'atmosphère ne l'atteignait pas et elle profitait de cela, dans un accès de supériorité volé. L'astre de la nuit était bien là. Mais personne n'était là pour en témoigner. La ville endormie ne savait rien de ces instants de contemplation, de la promesse du jour. Le blessé apprenait à connaître tout cela, ces secrets murmurés par l'ombre.

Il attendait la visite d'un spectre bien particulier. Des regards compulsifs pour l'armoire trahissaient son impatience. Mais il restait absorbé par la nuit, sous toutes ces facettes.

La ville s'illuminait encore de lumière ridicule et artificielle. Elle s'habillait de cette clarté pleine d'illusion et qui ne dupait plus personne. L'humain ne pouvait rien faire contre les éléments, contre le Soleil ou la Lune. C'était là la seule vérité à en retenir. L'impuissance d'une race qui se croyait supérieur jusqu'à se penser immortelle. Jimin avait compris cette foncière erreur, il lisait cela dans la nuit elle-même qui s'étendait à l'infini. La noirceur n'avait rien d'immonde, de monstrueux. C'était elle qui cachait la plus belle des lumières, la plus pure !

Le blessé avait reçu l'ordre de rester alité tout le temps de son hospitalisation. Une règle pour le personnel que l'on lui répétait sans arrêt mais auquel il n'accordait pas la moindre importance. Le jeune avait besoin de cela. De cet air fraie et nocturne, à la saveur si particulière. Ce semblant de liberté dont il goûtait, sans jamais s'en lassait.

C'était là une manière bien puérile de se sentir proche d'un être qui lui était cher. De lui. La créature à qui il s'était attaché sans s'en douter, comme un noyer à la dérive. C'était sa part d'ombre, cette noirceur touchante et ce mystère alléchant. La liberté que Jimin s'était vu contraint d'abandonner. Toutes ses pensées étaient maintenant portées vers Taehyung, et il en était impuissant. Il avait rapidement cessé de lutter, de se débattre face à ce besoin qui le débattait entièrement. Sa qualité d'humain le rendait faible et il se savait perdu !

Le blessé était debout sur le petit balcon de sa chambre. Il peinait à tenir la position qui éveillait diverses douleurs dans son corps meurtri. Il n'y prêtait pas la moindre attention. Il pouvait bien avoir mal, souffrir autant que possible. La nuit semblait l'appeler, envers et contre tout.

-La vue est belle, d'ici.

Une voix grave et profonde, comme venue des tréfonds de la Terre. Aux intonations singulières et séduisantes. Un son pouvant faire perdre la raison à quiconque en était témoin. Un frisson parcouru l'épiderme de Jimin et la fraicheur n'y était pour rien. Il se retourna lentement, comme s'il avait peur d'avoir rêvé.

L'Ange de la Mort faisait honneur de présence que trop rarement selon l'humain. Des jours gravés dans la mémoire de ce dernier, des souvenirs doux et amers. Pourtant, la créature était bien là. Si proche que, s'il l'avait souhaité, le blessé aurait très bien pu le toucher. Un sourire naquit sur ses lèvres devenues sèches. Le bonheur s'insinuait en lui, il pouvait presque le sentir couler librement dans ses veines. Il trouva l'inspiration de répondre, de manière simple :

-Oui, on voit presque toute la ville.

Le regard sombre de Taehyung se fit absent, l'espace de quelques secondes. Laps de temps pendant lequel, il se perdit dans l'infini de la nuit, comme l'avait fait l'humain, un peu plus tôt. Il y lisait les mêmes choses, les énigmes cachées et les tréfonds de toute une civilisation.

Angel of Death [Vmin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant