Chapitre 1

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Trois semaines plus tard...

— La vache, ce que c'est long, geignit l'adjudant Dutilleux pour la dixième fois. Quelle perte de temps d'être coincé dans cet avion, y a vraiment rien à faire ! En plus il fait froid avec la clim ! Et la bouffe est sûrement dégueu. Quant au film, je l'ai déjà vu, c'est une daube ! Mais merde, ça caille vraiment ici ! Tu l'utilises vraiment, ta couverture ?

Prêt à voler la dite couverture sur les genoux de sa voisine, il se figea lorsque celle-ci lui répliqua, excédée.

— Oh, la barbe, hein ? Et lâche immédiatement cette couverture, si tu veux garder tes phalanges entières. Lis donc ! Instruis-toi, au lieu de partager tes jérémiades avec la terre entière !

Éberlué, l'interpellé en resta coi, bouche ouverte et cerveau en fuite. Un gloussement féminin fusa plus loin sur sa gauche, alors qu'un ricanement s'élevait de sa droite. Même leur commandant d'unité validait la mise à mort ! Traître !

L'adjudant Dutilleux, presque vingt ans de service et autant à se plaindre, se rencogna dans son siège en croisant les bras d'un air boudeur.

Maté, le pénible !

Puis aussi rapidement que les mots étaient sortis, Emma se sentit écrasée par la honte. Elle détestait les conflits et ne se serait jamais permis d'être aussi désagréable dans des circonstances normales. Si elle n'était pas dotée d'un sang-froid à toute épreuve, l'agressivité n'était pas un trait distinctif chez elle. Généralement, la jeune femme se contentait d'afficher un air glacial en guise de désapprobation. La promiscuité provoquait de vilains effets sur son caractère. Mal à l'aise, elle réfléchit un moment à lui présenter des excuses, même si dans l'absolu, elle n'avait aucune obligation de le faire.

Emma se sentait parfois en complet décalage avec son époque, y compris dans les rapports qu'elle entretenait avec les autres. Sa réserve naturelle, son allure sévère et son regard bleu polaire avaient contribué à créer une légende peu sympathique. Trop fière pour y remédier, elle avait appris à vivre avec. Bridée par une éducation vieille France, la jeune femme savait dissimuler ses émotions sous un vernis de retenue. Dans sa famille, on parlait peu, on s'excusait d'exister et on ne franchissait pas la porte d'un bureau de recrutement militaire. Élève brillante, destinée à intégrer une grande École puis à épouser un Jean-Machin quelconque afin d'oublier toute ambition professionnelle, elle avait envoyé valser la coutume, ses études et ses jupes plissées pour s'engager chez les sous-officiers. À travers le peu d'échanges qu'elle avait pu avoir à ce sujet, elle soupçonnait tout-de-même sa mère d'être fière d'une enfant dont elle aurait aimé avoir le courage.

Mais son éducation avait laissé des traces trop profondes pour que ses relations en sortent indemnes. En plus d'une maladresse quasiment pathologique, Emma se montrait mal à l'aise en société. Bien-sûr, elle parvenait à donner le change dans son métier. Mais cette incapacité à créer des liens la faisait souvent ironiser sur son avenir. N'était-elle pas l'archétype de la vieille fille destinée à finir mangée par ses chats ?

Seule sa carrière avaient échappé à cette spirale un peu triste. Emma aimait son métier, et s'était attachée à le transformer en passion. Elle y puisait sa force et du réconfort grâce aux rares amitiés qu'elle avait réussi à créer. Dispersé aux quatre coins du globe pour des raisons de service, son clan était son unique refuge lorsqu'elle perdait le moral.

Que n'aurait-elle pas donné pour avoir Claire, Amélia ou la douce Sandrine à ses côtés en ce moment ! La jeune femme déglutit avec peine et fit mine de se replonger dans son livre, le temps de calmer son agitation. Elle parvint à surmonter sa gêne en prêtant attention à sa voisine de gauche prénommée Alix. Au moins, son coup d'éclat l'avait fait rire. Elle rangea son roman et profita qu'on leur dépose les plateaux-repas pour amorcer la discussion.

Cœur d'homme, âme de soldat 2 : Aucune promesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant