Le Monde des Cauchemars

Prologue

          Lucas s'écroula sur son lit, les bras étendus et les yeux mi-clos. Il avait transporté des cartons toute la journée. Il était épuisé et ne tarderait sûrement pas à s'endormir. Pourtant cela ne l'empêchait pas de ruminer des idées noires. Il se sentait affreusement coupable. Ses parents avaient dû changer de ville, de région et de vie à cause de lui. "Une nouvelle ville pour une nouvelle vie" lui avaient-ils dit pour le rassurer. Mais déménager par nécessité plutôt que par envie n'était jamais un plaisir et il en avait bien conscience... Il s'efforça de penser à autre chose en plongeant son regard noisette dans l'imprimé galaxie du plafond de sa chambre. La beauté des étoiles l'avait toujours apaisé.

           Lucas se réveilla la tête vaseuse et les muscles ankylosés. Il se leva avec peine et s'observa dans le psyché en face de son lit. Il souffla de désespoir en se passant la main dans ses cheveux bruns trop longs. Il n'aimait pas l'image qu'il voyait. Sa peau trop pâle qui faisait ressortir les os de son corps trop fin. Devant ce reflet des larmes de frustration montèrent. Lucas savait très bien que son corps avait changé, que ce reflet qu'il voyait n'était plus qu'un souvenir de son ancienne vie ; cette vie où tout allait mal... En réalité, son corps était désormais plus musclé et on ne voyait plus ses côtes. Sa peau pâle qui lui creusait le visage avait bronzé grâce au soleil. Mais ses traumatismes l'empêchaient de se voir tel qu'il était et maintenaient son estime de lui au plus bas.

          Il ne s'attarda pas plus sur l'analyse illusoire de son apparence physique et descendit les escaliers pour rejoindre sa mère dans le salon.

-Maman, c'est demain que j'intègre le lycée ?

-Oui. L'après-midi nous avons une entrevue avec le proviseur et le soir tu iras directement à l'internat.

-Wouah, eh ben, je suis déjà plongé dans le bain... réalisa-t-il, anxieux.

-Ça ira mon chéri ?

-Je verrais bien...

-Si quoi que ce soit ne va pas tu nous le dis. C'est compris ? Je ne veux pas que ça recommence ! Insista-t-elle le ton mi-sévère mi-inquiet.

-Promis. Lui jura-t-il en l'embrassant.

          Oui, il n'était plus question de cacher la vérité. Sa famille en avait bien trop souffert. Il s'installa à ses côtés dans le canapé et regarda distraitement la télé. Il pensait surtout au fait qu'il n'avait pas encore profité de son nouveau domicile. Des cartons traînaient toujours dans sa chambre et dans le reste de la maison. Pourtant il partait demain pour l'internat alors qu'il habitait à vingt minutes de l'établissement.

-Pense à préparer tes affaires pour demain. Tu voudras mettre ta lentille ?

-Oui. On ne sait jamais.

-Ça me fait bizarre de te voir avec. Je ne sais pas si je m'habituerais un jour... Et je n'en ai pas envie.

-Ne t'inquiète pas. Comme je l'enlève ici, tu ne t'y habitueras pas. Bon ! Je vais aller préparer mes affaires.

          Il se leva avec élan et remonta rapidement à l'étage. Faire son sac ne lui prit pas un temps énorme ; quelques vêtements, des cahiers et des affaires de toilettes qu'il a bouclé dans un grand sac de sport et un sac à dos. Luca s'installa devant sa télé et commença son nouveau jeu vidéo. Il avait enfin trouvé la combinaison parfaite de ses univers préférés : aventure, combats, surnaturel et parkour. L'adolescent finit absorbé dans ce jeu. Détaché de la réalité, Lucas pouvait enfin respirer. S'enfermer dans ses univers était le seul moment où il ne sentait pas le poids de la réalité et reprenait temporairement confiance en lui. Ses parents l'aimaient énormément, et fils unique oblige, Lucas était le centre de leur attention. Cependant la reconnaissance parentale et la reconnaissance sociale semblait être deux choses différentes. Alors pendant que le monde réel le rejetait comme un aliéné, Lucas se faisait accepter par les jeux vidéos et le virtuel.

          En se levant le lendemain, il comprit qu'il avait trop joué et pas assez dormi. Il avala deux cafés pour être sûr de tenir la journée et partit s'habiller. Un jean simple, un tee-shirt blanc et un perfecto et il était prêt. C'était le moment d'aller au lycée.

          Lucas allait intégrer ce lycée privé en plein milieu du mois de février et demain il aura son premier jour de cours dans son troisième lycée de l'année. Son troisième en deux mois. Et c'était à cause de son transfert qu'ils avaient dû déménager...

          Le proviseur du lycée, Mr Solaint, les accueillit chaleureusement et leur fit une visite rapide de l'immense établissement tout en rassurant ses parents.

-Ne vous inquiétez pas. Je suis certain que votre fils pourra rapidement s'intégrer ici. Cependant, au vu de son dossier scolaire et avec votre demande il va bénéficier de l'internat bien qu'il ne soit pas prioritaire. Il serait donc mieux pour le moment qu'il ne dise pas où il habite.

          Imperceptiblement, sa mère se tendit. Pour elle, c'était une raison de plus pour que son fils vive l'enfer. Son père s'en aperçut et lui pressa doucement l'épaule en guise de soutien. Quant à Lucas, il ne supportait pas de voir ses parents ainsi inquiets pour lui. Ses parents qui l'aimaient tant et qu'il avait contraint pour son propre bonheur, à déménager.

-Mais de toute manière, continua le proviseur, si il y a le moindre problème il peut s'adresser au corps enseignant ou à la direction.

          Lucas détourna son regard noisette et son visage se fendit d'un sourire amer. Il savait d'expérience que demander de l'aide ne faisait qu'empirer les choses.

           Ça avait commencé doucement. Dès la rentrée il n'avait pas pu vraiment se lier d'amitié avec ses camarades. Les gens avec qui il traînait ne semblaient pas faire grand cas de sa présence. Petit à petit il avait remarqué qu'on le mettait à l'écart, qu'on le regardait bizarrement... de travers. Et puis un jour un article à propos de l'anomalie de sa différence physique avait été posé sur sa table. Il avait compris qu'ici non plus, on ne l'acceptait pas. Pourtant les lycéens étaient censés être plus matures que les collégiens...

          Les rumeurs et les murmures s'amplifiaient. Les seuls qui n'avaient rien contre lui le laissaient de côté pour suivre le mouvement. Et, naturellement, ils se lassèrent de ces petites choses. Il fallait trouver mieux. Alors les rumeurs qui enflaient devinrent des insultes et des bousculades, pour la simple raison que sa différence n'était pas "normale" selon eux.

          Il ne savait pas quoi faire. Il se trouvait dans un lycée de campagne où tout le monde se connaissait et bientôt ses parents seraient au courant. Il ne voulait surtout pas les mêler à cela. Après tout, ce n'était pas de leur faute si leur enfant n'était pas normal. Il voulut tenter le tout pour le tout. Alors même si la fierté ou la honte l'ont poussé à renoncer, il est allé voir un adulte. Cet adulte l'a rassuré, il lui a dit que c'était inadmissible et qu'il fallait sanctionner les coupables. Les coupables... c'était le lycée entier.

          Il est ressorti du bureau avec un sentiment divisé entre le soulagement et l'appréhension. Et le lendemain, son monde s'est effondré.

          Les bousculades qui n'étaient jusque là que pénibles devinrent horribles. Ses affaires, détruites et taguées, qu'il devait s'efforcer de cacher à ses parents. Des passages à tabac après l'école dans des endroits non visibles, des humiliations publiques...

          Que faisait la direction ? Où étaient les adultes censés le rassurer et tout arranger ? Il ne voulait plus demander de l'aide...

          Lucas savait que ce n'était que le début, il le sentait et le voyait dans leurs yeux. La colère et le dégoût faisait dangereusement pétiller leurs pupilles. Mais les larmes et la peur étaient déjà là. Ses camarades avaient fini par le convaincre qu'il était inhumain. Il voulait juste en finir.

          Heureusement pour lui, sa mère l'a surpris alors qu'il s'entaillait les veines. Tout est remonté et il a éclaté en sanglots, dévoilant toute l'histoire. Son père était fou de rage et sa mère horrifiée d'apprendre que leur fils était traité comme un monstre.

C'est comme ça qu'il a changé de lycée la première fois.