La liberté

63 16 8
                                    

L'animosité du festin qui avait pris place il y a un certain temps déjà avait disparu. Le silence, meublé par moment par les crépitements du feu qui réchauffait la tente avaient remplacé les bruits de verres s'entrechoquant, de rires et voix bourrues des hommes des deux chefs. A ce stade, Manaba ne parvenait à savoir si c'était la peur ou l'atmosphère oppressante qui nouait sa gorge au point qu'elle ne parvenait qu'à peine à respirer.

Ogodei se tenait silencieusement près du foyer, assis en tailleur, il passait lentement et avec minutie un chiffon sur la grande épée qu'il tenait en main. Chaque geste semblait parfaitement calculé et réalisé à la perfection - après tout, une lame aussi tranchante que celle-ci vous couperait un doigt rien qu'en l'effleurant. Manaba ne parvenait cependant pas à savoir - son silence signifiait-il un désintérêt complet pour sa personne? ou bien s'attendait-il à ce qu'elle s'attelle à son devoir nocturne?

Dans tous les cas, tout cela lui semblait irréel.

Lorsqu'il avait annoncé son choix, Manaba était restée bouche-bée, complètement décontenancée tandis que tout le monde s'était tu et avait tourné leurs regards vers elle. Tous semblaient aussi désemparés que la jeune fille, si-ce-n'est une personne.

Arik semblait parfaitement se délecter de la situation comme pouvait l'indiquer son sourire, et encore plus son regard. Il n'avait pas perdu de temps avant de les envoyer, elle et Ogodei, se retrouver sous la tente personnelle du maître des steppes de l'est.

C'est ainsi qu'elle se retrouvait là, assise anxieusement à même le sol, ou plutôt sur des tapis de fourrures blanches, qui venaient quelque peu réchauffer sa peau quasi dénudée.

Elle ne savait que faire - il fallait dire la vérité, elle n'avait jamais fait ça avant, ce serait la première fois - et elle n'avait aucune idée de comment s'y prendre. Partagée entre l'envie de suivre les ordres ou de faillir à la tâche qui lui avait été confiée, sous peine de subir la colère d'Arik, Manaba sentait son cœur s'accélérer - ses mains devenir moites et sa bouche devenir sèche. Elle s'était recroquevillée sur elle-même, les yeux fermés dans l'espoir d'y trouver un peu de réconfort - cependant ne la retrouvèrent non pas les souvenirs heureux de sa vie d'avant, mais seulement les atrocités auxquelles elle avait pu assister. Le feu, les cadavres, la torture - tout se répétait sans cesse dans une boucle infernale, dans le même ordre, ils venaient la hanter aussi bien la journée que la nuit - ils ne la quittaient, et ne la quitteraient jamais.

Mais parmi ces visions d'horreur, quelque chose ou du moins quelqu'un apparaissait souvent - ou plutôt, plus souvent que le reste.

Arik - ses yeux bleus ciels aussi tranchants que des dagues qui viennent d'être aiguisées, son sourire narquois, moqueur, la condescendance et sadisme à l'état pur étaient emprisonnés dans ces derniers. Si tout son malheur lui était arrivé, c'était bien par la faute d'une unique personne.

"Sa faute..." C'était clair à présent. Si elle avait souffert comme elle avait autant souffert, si elle avait tout perdu, qu'elle était prête à perdre sa dignité pour survivre, c'était bien de sa faute.

C'est ainsi qu'alors elle rouvrait les yeux, décidant de faire face à cette dure réalité, qu'elle le jura - elle tuerait Arik des Monts Ardents.


"Comment tu t'appelles?"

Manaba resta perplexe, avait-elle seulement bien entendu le dialecte du nord?

"Tu me comprends, on parle bien la même langue, non?"

Arik s'était tourné, épée toujours en main. Il se trouvait à un mètre ou deux d'elle fort heureusement, car déjà à cette distance elle se trouvait intimidée.

ManabaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant