Le froid

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          Sortir de la tente lui rappela de mauvais souvenir.

Si l'épaisse fourrure que lui avait confiée Ogodei empêchait le froid de traverser son corps de part en part, l'odeur du spectacle macabre qui s'offrait à elle, lui, ne pouvait être ignoré.

La mort avait non pas seulement une odeur, Manaba le nota - elle était presque palpable, que ce soit de part les fumées des feux tout juste éteints, des charniers ou des gémissements provenant des quelques survivants qui rendront bientôt leur dernier souffle. La mort s'intègre en tout, elle colle à peau. Là où Manaba ne voyait auparavant qu'une simple hache, elle y voyait à présent une arme ; là où le feu consumait le bois, elle y voyait un moyen de se débarrasser d'un corps.

Son innocence s'était bel et bien envolée. Elle s'en rendit compte lors de la traversée du camp, jonché de cadavres que les hommes d'Ogodei traînaient afin de les réunir, et qu'elle se surpris à penser qu'ils le méritaient. Pas l'ombre d'un sentiment de compassion pour eux. Arik lui avait bien fait comprendre, c'était tué ou être tué.

Ogodei avait cependant pris la peine d'accélérer le pas. Si lui était habitué à ce genre de scène, il se doutait bien que la femme qui emboîtait son pas ne l'était pas autant que lui. Il avait une sorte d'affection pour elle – si cela avait été quelqu'un d'autre, il aurait très certainement laissé à un des ses hommes la tâche de s'occuper d'elle. Mais il ne pût s'empêcher de la vouloir à ses côtés.

Peut-être se sentait-il responsable de la jeune femme étant donnée l'amitié qu'il portait pour son frère. Lui-même ne le savait pas. En revanche, il avait bien réalisé qu'elle était tout sauf ordinaire et que l'avoir auprès de lui pourrait se révéler bien utile. Qu'elle curiosité cela peut être, le destin, quand on sait que Kuruk était originellement celui qui devait rejoindre Ogodei – sa sœur avait finalement pris la place qu'il avait refusée quelques années plus tôt.

Il était toujours aussi frappé, à chaque fois qu'il posait les yeux sur elle, de la ressemblance qui pouvait exister entre l'homme qu'il avait connu et elle. Ce regard intense lui rappelant un aigle, lui laissait voir en elle un potentiel inexploité qu'il comptait bien réveiller. Mais pour l'heure, Ogodei se devait juste de rentrer au plus vite à Chuluun, lui et son armée. Il fallait le dire, s'il n'avait perdu que quelques hommes, c'était bien grâce à l'aide précieuse de Manaba. S'il n'avait rien, ou presque rien laissé paraître cette nuit là, il avait pourtant été subjugué par la capacité d'analyse de fille de la forêt blanche. Elle avait déjà dû y réfléchir bien avant, cela ne faisait aucun doute. Mais quand bien même, ses approximations des stocks de poudres et la localisation des réserves d'armes s'étaient avérés exacts. Pour peu que cela fut trop incorrect, le plan d'attaque aurait complètement échoué et les pertes bien plus nombreuses.

La traversé semblait avoir duré une éternité et pourtant, ils s'étaient rapidement retrouvés à l'extérieur d'où se dressait il y a quelques heures encore, l'installation militaire des hommes du sud.

Manaba réalisa cela seulement lorsque le silence de la toundra l'envahit. La plaine s'étendant vers l'infini donnait l'impression qu'un nouveau monde s'offrait à elle – un nouveau monde qu'elle pouvait enfin parcourir. Elle avait passé des semaines ici, et pourtant c'était la première fois qu'elle voyait réellement ce paysage, elle qui avait vécu toute sa vie dans les vastes forêts neigeuses de l'ouest.

Le vent glacial qui s'engouffrait dans ses épais cheveux noirs la gelait sur place, et paradoxalement, elle avait l'impression qu'il l'appelait.

«Manaba. » Si Ogodei ne l'avait pas interrompue, elle se serait mise à courir à travers l'immense plaine parsemée de blanc.

« Si tu le souhaites tu peux nous suivre jusqu'à Chuluun. Si tu as autre part où aller, nous te donnerons volontiers de quoi faire la route.

ManabaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant