Le trajet fut plus rapide qu'il ne le pensait. Lazare gara sa voiture dans la large cour du manoir et serra les mains autour de son volant. Il devait s'amuser ce soir. Oublier toutes ses galères. Oublier que, en ce moment, sa vie ne ressemblait plus à rien. Le blond inspira profondément et quitta son véhicule. Des lanternes citrouilles avaient été posées sur les bordures de l'allée, pour éclairer le chemin. La lueur de leurs bougies projetait des ombres grimaçantes sur la pelouse parfaitement entretenue. Dans un arbre, Lazare aperçut la silhouette d'un pendu, qui se balançait lentement au bout de sa corde.
L'infirmier grimpa rapidement les marches du perron en pierre et poussa les portes du manoir. L'immense hall avait été décoré avec soin. Des toiles d'araignées descendaient du plafond, surplombant des dizaines de citrouilles et bougies électriques. Au fond, se trouvait un autel, d'où dégoulinait du sang. Des chaînes avaient été abandonnées sur le sol et des traces menaient tout droit à un cercueil entrouvert, où brillaient deux pupilles rouges. Le blond sentit un courant d'air qui le fit frissonner et l'éclat des lanternes sembla s'intensifier. Il se tendit, soudainement aux aguets, alors que son instinct lui soufflait de se tenir sur ses gardes. Ses yeux balayèrent les imposants escaliers de pierres, comme si un quelconque fantôme allait faire son apparition. Naturellement, rien n'arriva, et la tension s'éloigna aussi vite qu'elle était arrivée.
Lazare secoua la tête, exaspéré par son propre comportement. Il se tourna finalement vers la droite, d'où il entendait la fête battre son plein. Il jeta un dernier coup d'œil en direction des étages et s'éloigna. Ce qui devait être l'ancienne salle de bal avait été totalement métamorphosée. Les lourds rideaux cramoisis avaient été tirés pour cacher les fenêtres, offrant au lieu un aspect sombre et lugubre. Seule une lumière verdâtre éclairait la pièce et ses invités. Le blond se sentit aussitôt mal à l'aise aux milieux de monstres tout droit sortis de légendes. Comment allait-il retrouver ses amis ?
L'infirmier longea le buffet en espérant y trouver Prosper et Carol. Il fut bluffé devant l'assortiment de nourriture qu'il voyait. Des amuses-bouches en forme de doigts coupés, d'araignées, de citrouilles, ou d'yeux, trônaient sur la table. Ils étaient si réalistes qu'il n'osa pas se servir. Du côté du bar, les convives sirotaient des Bloody Mary, des Dracula's Nightmare ou encore des Black Velvet.
— Lazare !
L'appelé se retourna, soulagé d'entendre une voix familière. Ses deux amis et collègues avaient défié l'imagination avec leur déguisement de Bonnie et Clyde, version zombie.
— Tu aurais pu trouver plus original, s'indigna Carol en désignant son costume.
— Je n'ai pas eu le temps, j'ai acheté ça en sortant du boulot. Il n'y avait plus beaucoup de choix en boutique, se défendit-il.
— Ce n'est pas étonnant, répliqua la brune. Personne n'achète son déguisement le jour-même d'halloween.
— Tu sais pertinemment que je n'étais pas certain de venir.
— On sait, le rassura Prosper d'une voix douce. C'est vraiment dommage que ça tombe pendant un weekend où tu as Cian. Mais, tu as aussi le droit de sortir un peu pour profiter.
Profiter. Ça faisait longtemps que Lazare ne s'y était pas autorisé. Il craignait de voir ses efforts réduits à néant s'il relâchait la pression, ne serait-ce qu'un instant. Il n'arrivait pas à se détendre et à apprécier pleinement la soirée. Pourtant, il hocha la tête pour faire plaisir à ses amis. Ils rejoignirent finalement le bar et se penchèrent sur les différents verres, flutes et coupes. Aucun serveur n'était présent, si bien que Lazare ne préféra pas y toucher. Il reprenait le volant pour rentrer et il ne voulait pas risquer de boire de l'alcool.
— Il y a une maison hantée ! s'exclama Carol en désignant un rideau noir au fond de la salle. On y va ?
Prosper acquiesça, mais le blond lui adressa une moue sceptique. Il n'était vraiment pas friand de ce genre de chose. Pourtant, la jeune femme passa un bras sous l'un des siens et le tira. Il se laissa donc entraîner à contrecœur. Lazare n'avait fait que quelques pas, lorsque son regard croisa des iris bleus, qu'il reconnaîtrait entre mille. Adeline se tenait près de son nouveau compagnon, incarnant à eux deux Gomez et Morticia Addams. Lazare aurait aimé haïr celui qui lui avait volé sa femme, mais en réalité, il était le seul fautif. Il était celui qui avait laissé la situation se dégrader entre eux. Jamais il ne l'avouerait à voix haute, mais Sébastien avait l'air d'être un homme bien. Le genre de type parfait, que les autres essayaient de détester en voyant sa situation professionnelle et sa plastique, mais qu'ils ne pouvaient qu'apprécier pour sa gentillesse et son humour. C'était rageant.
— Tu es venu, constata Adeline, d'un ton presque accusateur.
— On dirait bien, répliqua l'infirmier.
— Bonsoir Lazare, intervint Sébastien en lui serrant la main, un sourire gêné aux lèvres. Comment vas-tu ?
— Bien. Et toi ?
C'était le comble. L'amant était plus aimable et empathique que son ex-femme. Le monde tournait à l'envers. Ils échangèrent quelques banalités, mais, encore une fois, la situation était gênante pour les deux parties. Lazare jeta un coup d'œil à ses amis, qui l'attendaient quelques mètres plus loin, et il leur fit signe de continuer sans lui. Il avait besoin de se retrouver un peu seul. Il s'éloigna donc sous leur regard désespéré. Sans même s'en rendre compte, il s'enfonçait dans sa solitude, se complaisait dans son isolement.
Lazare se trouva une place dans un coin de la salle et sortit son téléphone afin de donner l'illusion d'être occupé. Il regarda autour de lui, l'air totalement coupable, mais personne ne faisait attention à lui. Il ouvrit alors une application de site de rencontre gay et fut, encore une fois, étonné du nombre de messages privés qu'il avait reçu. Il les consulta un à un, et remercia son maquillage de cacher ses rougeurs. Il ne comptait plus le nombre de « Salut. T'es open ? », « Je suis chaud bouillant » ou encore « Tu cherches un soumis ? » qui polluaient sa messagerie. Seul Colin était là pour remonter le niveau. Ça faisait quelques jours qu'ils discutaient tous les deux et Lazare le trouvait vraiment sympa. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable, comme s'il faisait quelque chose de mal. C'était plus fort que lui : depuis qu'Adeline l'avait quitté, il retombait dans ses frasques adolescentes en lorgnant du côté des hommes.
— Bonsoir, le salua une voix de velours.
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Le Diable tient toujours ses promesses.
De TodoCette nouvelle a été écrite dans le cadre du concours Blueberry, où elle a terminé première. _________________________________ Lazare se retrouve seul du jour au lendemain, lorsque sa femme décide de le quitter pour un autre. Il se plonge alors cor...