CHAPITRE 1

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Lazare grimaça en voyant son reflet dans le miroir. Son maquillage de squelette ne s'avérait vraiment pas terrible. Le blanc et le noir s'étaient mélangés, offrant à sa peau une couleur grisâtre à certains endroits. Il jeta un dernier coup d'œil au tutoriel qu'il regardait et soupira. Les conseils se révélaient toujours plus faciles à imaginer qu'à appliquer.

— Et maintenant, vous n'avez plus qu'à colorer votre nez en noir, annonça la voix féminine de la youtubeuse.

Lazare loucha pour remplir le contour préalablement dessiné avec son crayon gras. Il sentait qu'il allait regretter. Sa peau commençait déjà à le démanger. Le résultat ne fut pas celui escompté, mais il s'en contenterait pour ce soir. Habituellement, c'était Adeline qui s'occupait de son maquillage. En pensant à son ex-femme, il perdit aussitôt son sourire. Naturellement, il devait s'attendre à la croiser ce soir, au bras de Sébastien Garrett, le brillant et séduisant chirurgien cardiaque de l'hôpital, pour qui elle l'avait quitté. Même s'il n'avait pas été si étonné, son moral en avait pris un coup. Lazare avait besoin de stabilité dans sa vie. C'était sûrement ce qui les avait fait tomber dans une routine ennuyeuse. Adeline avait fini par lui cracher tout ce qu'elle avait sur le cœur, avant de prendre ses affaires et de partir.

Si ça ne tenait qu'à lui, Lazare n'aurait jamais accepté de se rendre à cette fête d'halloween. Cependant, ses collègues et amis avaient insisté, en lui assurant que ça lui changerait les idées. Ils n'avaient pas tout à fait tort. Lazare n'avait que trente-six ans, pourtant, il n'avait quasiment plus aucune vie sociale. Son quotidien se résumait à son boulot et à quelques rencontres foireuses, planifiées avec de parfaits inconnus via un site de rencontre. Ses journées étaient toujours bien remplies et ses seuls moments de réel bonheur ne pointaient le bout de leur nez qu'un week-end sur deux, lorsqu'Adeline déposait son fils chez lui.

— Tu as besoin d'un coup de main ?

Lazare se retourna avec un sourire gêné et Kathleen le dévisagea avec un rictus moqueur. Elle avait attaché ses cheveux roux en une queue-de-cheval et ses yeux noisette étaient rieurs.

— Je veux bien. Si tu arrives à rattraper ce massacre.

L'adolescente lâcha un rire et attrapa l'éponge à maquillage pour retoucher le blanc qui maculait son visage. Lazare la laissa faire, soulagé de pouvoir prouver à Adeline qu'il pouvait se débrouiller seul. Ou presque. Kathleen était une véritable aubaine pour lui. Sa jeune voisine, de tout juste dix-sept ans, se montrait assez responsable pour qu'il lui confie la garde de Cian en son absence.

— Voilà ! s'exclama la rouquine après quelques minutes, fière de son travail.

Lazare se tourna vers le miroir et sourit, satisfait. Elle avait bien rattrapé ses bavures. La demoiselle s'éclipsa pour préparer le repas de Cian et il revêtit son costume, sobrement composé d'un ensemble noir, où des os de squelette blancs ressortaient. Il n'avait pas vraiment eu le temps de trouver plus original. En enfilant son déguisement, il ne put que constater, une nouvelle fois, à quel point il avait maigri. Son petit ventre avait fondu comme neige au soleil. Non pas que sa rupture l'ait autant miné, mais sans les bons petits plats d'Adeline, il s'était laissé aller. Entre la paresse lorsqu'il s'agissait de cuisiner et le stress de l'hôpital, son corps avait pris le contrecoup. Ses cheveux, d'un blond clair, presque blanc, avaient besoin d'une petite coupe. La seule chose qui demeurait inchangée et qu'il aimait encore chez lui, c'étaient ses yeux vert clair.

Lazare finit par hausser les épaules face à son reflet et quitta la salle de bain pour regagner le salon. Cian, installé sur sa chaise, l'observait avec attention.

— Alors ? Ne suis-je pas le plus effrayant ? demanda-t-il à son fils.

Le garçon de six ans lâcha un gloussement et secoua la tête. Lazare sentit aussitôt son cœur se réchauffer un peu. Cian était sa plus grande fierté. Il lui ressemblait trait pour trait. Seuls ses cheveux bouclés différaient des siens. Ne pas avoir pu obtenir sa garde avait été un véritable coup dur pour lui. Adeline et son chirurgien gagnaient bien plus que lui et son petit salaire d'infirmier. Il arrivait à peine à couvrir le crédit contracté pour la maison, mais il s'obstinait dans son refus de vendre. Il s'y sentait bien et c'était ici que son fils avait grandi.

— Tu ne fais pas peur, affirma le petit.

Lazare poussa un soupir faussement déçu et récupéra ses clefs de voiture. Il n'aimait pas s'absenter lorsqu'il avait la garde de Cian. Il avait l'impression de gâcher le peu de temps qu'il avait avec lui. Une masse chaude contre son tibia le tira de ses pensées. Il baissa les yeux et découvrit, sans surprise, Gozilla, son chat noir obèse. L'animal leva ses yeux ambrés vers son maître et miaula en se frottant une nouvelle fois à lui.

— Oui oui, je ne t'oublie pas, grommela-t-il en offrant une caresse au félin.

Il ouvrit un paquet de croquettes et remplit une petite quantité à l'aide du doseur. Son vétérinaire l'avait conseillé, mais rien n'y faisait, il avait beau respecter scrupuleusement les doses, avec son sachet pour chat stérilisé, Gozilla refusait de perdre du poids. Cian affirmait que c'était à cause de son nom. Lazare le soupçonnait plutôt d'avoir une seconde vie, chez l'un des voisins du quartier.

— Bon, j'y vais, déclara-t-il finalement. Passez une bonne soirée. Il doit être couché grand maximum à vingt-deux heures. S'il y a le moindre problème, n'hésite pas à me contacter.

Kathleen hocha la tête, en se récitant dans la tête ce discours qu'elle avait tant de fois entendu. Lazare passa une main dans les cheveux de son fils et embrassa son front.

— À demain mon cœur, sois sage.

Il adressa un dernier regard à son fils et sortit enfin de chez lui, pour rejoindre sa voiture. Ce soir, aucun nuage ne cachait le ciel. La lune, presque pleine, brillait d'un éclat argenté qui éclairait partiellement les environs. Les millions d'étoiles complétaient ce tableau enchanteur. Il n'y avait pas un souffle de vent, mais l'air s'avérait froid et sec. De la buée s'échappait de ses lèvres à chacune de ses expirations. Lazare soupira en songeant à cette soirée qui l'attendait. La nuit promettait d'être longue.

Le Diable tient toujours ses promesses.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant