Milieu de l'automne, la ville de Dvergr-Konungr (vieux norrois, littéralement : Nain-Roi ; interprétation : [ville] du Roi-Nain) se prépare. La fête de Nis-Mortäm (Ergälique) aura bientôt lieu.
Nis-Mortäm est la célébration des guerriers tombés, des Nains, Naines, Bǫrn (enfants en vieux norrois) décédés durant l'année, que ce soit au travail, de maladie, de vieillesse... Toutes les âmes des montagnes de Tercendre retournées à la pierre depuis la dernière Nis-Mortäm sont honorées.
Grâce aux prières et rituels prononcés en ces nuits de Nis-Mortäm, les âmes peuvent entrer en contact avec les Nains les plus entraînés dans la transe. C'est aussi à cette période que les portes de l'Autre Monde s'ouvrent en divers endroits du monde, et que les êtres effacés du Petit Peuple (les esprits d'Anciens, les ancêtres du Petit Peuple en Thaldoclal) peuvent se rendre dans les habitat de leurs peuplades.
C'était la première fois que j'officiais les cérémonies, les prêtres m'avaient initié des mois durant, dans leur Haut-Temple des Himnar (cieux en vieux norrois), loin au sommet des montagnes surveillant la cité.
Nous avions rejoint les lieux de rassemblement dès l'Aube, pour les derniers préparatifs, en tenues de pré-rites : des aubes grises à larges capuchons. Sur place, il a fallu nettoyer l'autel de roche, recouvert de mousse et de feuilles sèches, y déposer les pans de tissu tissé. Les récipients divers, les encens, bougies, plantes y ont été organisés de manière pratique au déroulement de l'évènement.
La Clairière du Massariol voyait ses âmes tordues, aux membres noueux, aux parures tombantes teintées des chaudes couleurs d'Automne, veiller sur l'autel encore et toujours, seule sylve persistante sur l'île de Tercendre. Les troncs des arbres étaient ornés de guirlandes et de branches d'épineux pendantes.
L'étroit chemin qui menait de l'extérieur des bois jusqu'au centre de la clairière était signalé par deux grands brasiers en entrée, auprès desquels des grandes tablées étaient installées et prêtes à accueillir un flot de nourriture. Les stèles dressées encerclant la sylve avaient leurs pieds décorés d'offrandes, les grands mâts qui pointaient le ciel près des brasiers étaient garnis de gerbes de blé.
Les draperies installées derrière l'autel matérialisaient notre côté, là où nous nous préparions. Midi passé, les neuf prêtres se retirèrent au fond du bois, dans le secteur interdit, la partie sacrée où n'étaient acceptés que les Nains à qui la foi fut donnée de la main des Dieux. Personne n'a jamais su ce qu'il s'y passait, ce qu'y faisaient les prêtres des Himnar avant la célébration.
Pendant leur absence, je m'occupais d'enchanter la Clairière du Massariol, à l'aide de prières répétées à quatre endroits différent, symbolisant les quatre saisons, puis en plaçant des encens à l'Est et à l'Ouest, pour la naissance et la mort de l'astre solaire. Faire ceci devait libérer les lieux d'éventuelles énergies éphémères, afin de laisser place nette à celles de la cérémonie.
Je changeais ensuite de tenue pour enfiler la robe de Nis-Mortäm, un habit sombre fait de laine épaisse, orné de galons complexes, accompagné d'une parure d'os pendant sur le torse. Confortable et chaud.
La nuit commençait à tomber et l'air à se rafraichir, les premières lueurs de la Lune à traverser les feuillages secs des bois lorsque les prêtres revinrent.
L'important Nain chef de Dvergr-Konungr était en tête de file quand le peuple rentra dans la clairière. Tous s'assirent autour de l'autel, le Chef face à ce dernier. Je me souviendrais toujours du charisme émanant de lui, de sa sureté et de sa force.
Alors que la lumière des flambeaux léchait les arbres et les visages des Nains, leurs ombres dansaient dans les bois comme mille lutins. Le rythme des tambours retentit, les prêtres entrèrent dans la clairière, portant bâtons où se balançaient des petits ossements, offrandes, et objets de rituel divers.
La musique se faisant de plus en plus profonde au fil du temps, la célébration pouvait commencer. Disposés en arc de cercle derrière l'autel, les prêtres se tenaient debout, tandis que je prononçais un texte en chant diaphonique, en l'honneur des esprits tombés et libérés du monde. Uns à uns, les prêtres vinrent ensuite déposer leurs offrandes au pied de l'autel de roche. Le premiers et le dernier d'entre eux allèrent chercher un Nain. Sa barbe courait sur son torse nu, et ses tatouages aux significations spirituelles semblaient se mouvoir à la lueur des flammes crépitantes des flambeaux.
Habillé d'un simple pantalon marron, le Nain fut amené à l'autel. Les deux prêtres s'agenouillèrent à ses côtés et récitèrent des poèmes de sagas et prières sacrées, avant d'allonger le Nain sur la large pierre. Sa tête fut placée dans la coupelle taillée à même la roche, d'où partait deux petites rigoles.
L'un des sept autres prêtres apporta une dague, accompagné d'un rythme aux tambours toujours plus entraînant.
Je soulevais la barbe du Nain, alors que la dague tranchait nette la gorge du Nain. Un flot de sang s'écoula par les rigoles, récupérés dans des grands récipients de bronze. Le rythme de la musique était maintenant effréné et mêlé à de puissants chants, résonnant dans les alentours boisés, vibrant dans les airs. Chacun des neuf prêtres se présenta devant les récipients et y plongea ses mains, les apposa ensuite sur son visage et laissa place au prochain. Ce fut mon tour puis celui des autres Nains. La chaleur du liquide écarlate sur mon visage me rappelait d'étonnantes émotions, indescriptibles. On embauma alors l'air de fumées de bois spéciaux, qui me montèrent rapidement à la tête, m'emportant moi et mes semblables et frères dans un monde plus psychédélique.
Les variations des sons et la puissance des instruments faisaient vibrer chaque infime partie de mon corps et canalisaient la montée spirituelle dans laquelle nous étions. Ce qui se passa par la suite n'a jamais pu être décrit par aucun de nous, ou aucune personne vivant sur cette planète.
La fin du rituel se fît plus tard dans la nuit, lorsque la plupart des Nains sortirent de la clairière du Massariol, en suivant la musique, pour se rendre dans le pré où se tenait le festin et les brasiers. L'alcool coula à flots, les incroyables plats défilèrent.
La fête de Nis-Mortäm avait été une fois de plus célébrée en les bois sacrés de Dvergr-Konungr.
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Tercendre, Le Royaume Noir
FantasíaLe Royaume de Tercendre est l'un des lieux les moins accueillant de la Behôrie Nordique. Dans ses chauds et profonds sous-sols triment d'innombrables Nains, jours et nuits. Ces endroits regorgent, malgré leur tristesse, de récits passionnants et de...