L'été, la nuit, le ciel est dégagé sur l'immensité du sombre, moucheté de l'infinité des mondes, habités ou non, qui brillent d'une présence aussi intense qu'incertaine, car il y a quantité d'étoiles visibles qui ne sont plus... leur extinction ne nous étant simplement pas encore parvenue. J'avais cette impression que le feu de mon amour était de cette sorte : encore ardent, mais dans la seule apparence luminescente de mon imagination. En rêve, on a tous vécu des amours extraordinaires ! des histoires (généralement assez cul-cul) dignes des téléfilms les plus sirupeux, mal doublés et surannés. Pourquoi les gays ont-ils donc un goût de chiotte dès qu'il s'agit de choses sentimentales ? En tout cas, j'étais là comme la petite sirène à soupirer sur son rocher, perdant ses pensées dans le noir de l'océan, dont la molle mouvance, facilement inquiétante la nuit, semblait presque attirante pour sa capacité à tout absorber et ne laisser que l'oubli.
Les bruits de la fête me parvenaient encore trop, car je n'étais pas si loin. Les graves des rythmiques de la musique, et les aiguës des rires ou cris des filles. Des garçons devaient les amuser, ou les embêter, ou les deux, car cela revient au même dans cette situation où personne n'est là sans arrières pensées - d'un niveau aussi consternant que nous, prouvant que les hétéros ne valent pas mieux... Je me suis donc mis debout pour repartir plus loin, plus loin de ce monde encore très vivace auquel je ne pouvais appartenir. Et c'est là que j'ai entendu un : « Ah ! » Je me tourne en sa direction (vers la fête) et vois une silhouette s'approcher prudemment sur les rochers piégeux. « Attends-moi... J'essaye juste de pas me casser la gueule. » Je ne connaissais pas cette voix ; un garçon, oui, mais qui ? J'ai sorti mon tél pour mettre en mode lampe et voir de quoi il en retournait. « Ah merci, éclaire-moi, ce sera plus facile. » Et là, le faisceau blafard à soudainement enrobé la forme humaine, pour faire jaillir le mirage fantomatique d'un délire dont je n'avais même pas osé m'enfiévrer : le mec le plus beau de l'univers ! - du moins, du mien. Le sort nous avait réuni sur une île, et voici - ô miracle ! - que nous étions désormais face à face, et face à notre destin, ici et maintenant, totalement seuls au seul monde qui compte : le nôtre.
- Ah dis-donc, j'ai eu du mal. Je te voyais pas... et tout d'un coup, hop, te voilà. Si tu t'étais pas levé, j'aurais pu passer à côté sans te repérer...
Qu'est-ce que tu voulais que je dise ? J'étais sonné de trois coups de massue : d'abord d'en être si proche, ensuite d'entendre vraiment sa voix, très douce, et enfin d'entendre qu'il me cherchait... Arrivé à ma portée, sa main invita la mienne pour un check.
- Yo. Toi, c'est Octave, c'est ça ?
- Oui.
Ça m'a choqué ! Comment il avait retenu mon prénom ?
- Moi c'est Abdoulaye (dit-il en me retapant dans la main).
- Comment ?
- T'as qu'à dire juste Abdou, c'est bon. Et oui frère, nos prénoms sont comme nos têtes : pas du même coin, quoi.
- Bah, on a les mêmes étoiles au dessus...
- Ouais mais dessous, elles nous voient sous différents angles... Que veux-tu : on est pas né sous la même.
- Non, mais tu connais pas ma vie.
- Ni toi la mienne, mais tu vas me raconter, dit-il en s'asseyant, m'obligeant à me rasseoir aussi et donc à rester près de lui.
Quel doux piège... Il y eut un silence que j'étais incapable de briser,tétanisé par sa présence, si proche, si intime. S'il savait pourquoi je m'étais isolé ici... En fait, j'étais à deux doigts de me masturber, histoire de faire baisser la pression tout en communiant avec la Nature, pour en tirer un certain réconfort. Or ce n'était pas très confortable là où on était, en plus du bruit trop présent de la fête.
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le Roux et le Noir
RomanceQuand un fils "de bonne famille" rencontre un lascar de banlieue (tous deux 16 ans), sur une île bretonne... Ça ne donne pas Robinson et Vendredi, mais une chaude parenthèse amoureuse estivale.