2 : le Débarquement

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C'était la fin d'après-midi, et notre bande des quatre amis s'était bien dépensée à la plage, dans l'eau, sur l'eau, sous l'eau. Ballet de compositions plastiques de jeunes corps dorés - sauf le mien ! car je protège ma peau claire de rouquin au max - évoluant en de multiples mouvements et multiples postures, pour toutes sortes de figures, autant d'instantanés que de suites, toutes d'une grâce si particulière qu'elle ne capte généralement pas l'attention de la plupart des gens ; les ordinaires. Ce n'est peut-être pas plus mal... que le merveilleux de ce spectacle vivant leur échappe, et ne soit perceptible qu'à une poignée d'élus ! sélectionnés avec soin par Dame Nature qui aime réserver des surprises, sans doute un peu déroutantes, au début, pas toujours commodes à s'en accommoder, non plus, mais ô combien gratifiantes quand on s'en trouve gratifié...

Ayant enfourché nos fiers destriers (des vélos), on a été étancher notre soif visuelle de fraîches beautés à notre terrasse habituelle, idéalement placée pour zieuter les arrivages du bateau ; mes camarades s'abîmant les yeux à reluquer d'avenantes demoiselles, tandis que mon cœur battait d'espérance à la venue d'altiers damoiseaux !

En terrasse, tout est bien : la vue, et être vu ! C'est qu'on est tous chauds pour susciter des rencontres. Le groupe, ça aide, parce que ça multiplie le potentiel. Il y en a toujours un qui attirera plus le regard, pour je ne sais quelle raison, et qui fera s'approcher telle ou tel, souvent à plusieurs. On a tout ce qu'il faut (où il faut) pour contenter tout le monde ! Rapha est musclé, avec les cheveux très noirs et les yeux bleus ; Erwan est grand, châtain, yeux bruns ; Sacha, petit blond aux yeux bleus ; et moi, assez grand, mince, roux aux yeux verts. On en jette, tous ensemble ! sans parler de la belle ambiance entre nous. C'est qu'on rigole bien, moquant souvent telle ou tel touriste dont le physique ou l'allure ne rentre pas du tout dans nos critères de sélection. Les : « Celle-là, elle est pour toi ! » fusent, et j'ai bien entendu droit à pas mal de réflexions du genre : « Octave, mon salaud, tu vas te régaler avec ce... "je-sais-pas-comment-ça-s'appelle", mais ça doit être pas si éloigné de l'humain que ça... ce qui est déjà bien, pour toi. »

Mes amis savent que je suis gay depuis la quatrième. Je l'avais d'abord dit à ma meilleure amie, laquelle n'a pu se retenir de balancer à ses copines : « J'ai un secret à te dire... mais surtout tu le répètes pas ! » Craignant que mes potes l'apprennent de cette vilaine manière, j'ai profité de la première occasion pour le leur avouer. Raphaël a dit : «Bon, c'est pas grave.» Erwan s'est contenté d'un : «Cool.» (il s'en doutait) et Sacha : «Ah ben dommage pour les meufs...» Ce sont des vrais. <3 <3 <3

De mon côté, j'ai mon caractère... pas toujours très bon. Je suis pas prétentieux, mais j'ai de l'orgueil. Trop. Remarque, prétentieux, si, des fois. Des fois, je sais pas pourquoi, je me sens beau. Et là, je me dis que je peux plaire à qui je veux ! C'est une sensation extraordinaire... Je vois des gars (qui me calculent absolument pas) et je me dis que j'ai qu'à leur faire un signe, ou juste leur dire : « Tu viens ? » pour qu'ils me suivent, ravis et émus. Ce serait vraiment génial ! Je crois que j'en consommerais beaucoup... Mais bon, finalement, je suis comme je suis : ni BG, ni moche... et c'est sans doute pas plus mal.

En tout cas, c'est dans cet état que j'ai vu débarquer un groupe de mecs - ils étaient six - ne passant pas inaperçu. Allures de caillera, blacks et maghrébins, enceinte bluetooth crachant du rap agressif, et attitudes (démarches, postures) arrogantes. Curieusement, personne à notre table n'a rien dit sur eux, et même un silence se fit. Ils étaient un peu inquiétants, vus de nos repères. Et d'autant plus qu'ils étaient dans nos âges. En effet, on se trouvait en rivalité frontale, sur la même catégorie et le même terrain de chasse, comme deux meutes rivales. En outre, ils étaient plus nombreux et sans doute plus aguerris que nous. Et les voilà qui s'avancent et s'approchent de notre terrasse pour s'y installer, bruyamment, juste à côté de nous.

le Roux et le NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant