Nos bras nous serrent l'un contre l'autre avec une force étonnante. C'est l'instant que l'on retient, car chacun sait que nous sommes à un accomplissement exceptionnel. Aucun mouvement n'est possible dans cet écrasement tendant à nous fondre l'un dans l'autre, pour n'être qu'un. Un quoi ? Un seul autre. Je ne sais pas comment dire, mais j'avais envie de faire partie de lui et lui de moi, en permanence. C'est ouf de dire ça d'un parfait inconnu, mais ce n'est peut-être possible qu'avec un inconnu. J'ai le sentiment que je vais le connaître, ce bel inconnu, et même très bien, et même mieux que ses potes, avec qui il rigole et parle et dit des tas de choses, mais jamais ce qu'il y a dans son cœur, ni dans sa tête et qui l'obsède, comme le sexe, pareil à son sexe, le même que son sexe d'homosexuel.
Abdou est gay, à 100%, tout comme moi. L'histoire des filles qu'il aurait connu, je sais pas si c'est vrai, mais même, ce serait faux. Il n'y aurait rien eu de vrai. Il serait juste passé par une figure imposée, plus pour donner le change à son entourage que par curiosité. Et puis, quelle curiosité ? Il a vu des pornos,comme tout le monde. Après tu as la sensation de la pénétration...C'est sûr que c'est autre chose - enfin, que ça doit être autre chose ! parce que je n'ai (hélas) pas encore connu ça.
J'y pense, pêle-mêle avec des tas d'autres choses, en cet instant d'intensité fusionnelle. Toi, enfin. Toi, enfin, et rien entre nous. Rien que de l'amour, du désir, et de l'amour, de l'amour. Je n'avais pas de bouche pour lui dire : « je t'aime » car c'est lui qui la possédait, ma bouche, toute en entier occupée par lui et sa langue, aussi douce qu'étourdissante à lovacer la mienne. Oe, « lovacer », c'est un verbe qui n'existe pas, mais qui convient si bien qu'il existe maintenant. Car tout existe à présent ! À présent qu'on est pris dans un présent éternel où il est contre moi, c'est-à-dire avec moi... pour le meilleur et pour le jouir.
Je ne pense même pas plus que cela au sexe. Je sais plus si je bande,mais je m'en fous un peu. Le principal, c'est juste lui et moi, réunis. Ça fait 16 ans que je l'attends. Bon, je les ai pas encore, les 16 ans (ce soir-là), mais je crois que je l'attendais déjà dans le ventre de ma mère. C'est ouf comme cela n'a rien à voir avec les petites aventures sentimentales et sexuelles que j'ai pu connaître. C'était des gamineries, un peu. Là, j'ai affaire à un homme ! Il n'est guère plus vieux que moi, mais c'est un homme qui me tient, qui me retient à lui, pour me posséder, corps et âme.
Oui, je vais connaître son sexe, là, maintenant. Je sais pas comment ça va se passer. Ça n'a aucune importance. C'est notre baptême d'amour, avec une onction de sperme, bien sûr, mais surtout une immersion commune dans l'eau du présent - j'y reviens, encore et toujours car c'est LA constante de notre équation. Un présent qui nous est identique, ce qui est impossible, car personne ne vit la même vie. Mais là, si. Là on vit la même vie. On est pas la même personne, mais deux parties d'un même être. Ça fait un peu con (ou cul-cul plutôt), mais c'est toujours ainsi. C'est drôle que pourparler de ce qui existe de plus élevé dans le cœur d'un Homme, il n'y ait plus de langage à la hauteur de ce que cela représente. C'est un peu comme en montagne, où plus on progresse en altitude, moins il y a de végétation, jusqu'à plus du tout. Alors on fait appel aux clichés de cartes postales, aux couleurs autrefois criardes, mais aujourd'hui passées, délavées par trop de mièvres dégoulineries sirupeuses... Mais à la décharge de l'artiste en herbe (vert tendre) que je suis, c'est aussi comme ça que je le vis ! Mon cerveau est déconnecté de toute raison, de toute logique et de tout recul. Je te l'ai dit : il n'y a que le présent, un seul présent pour deux. Deux corps, deux esprits, un amour.
Impossible de se détacher l'un de l'autre. Pour quoi faire ? On a eu tant de peine à se trouver... Ça n'a l'air de rien, mais passer des jours et surtout des nuits à croire que ça n'arrivera jamais, cette(trop) fameuse histoire de grand amour. C'est une farce pour esprits simples ! genre cagoles qui se badigeonnent de maquillage outrancier, qui s'emballent serrées dans des vêtements de carnaval, le corps souvent bourré de silicone et de Botox, et tout ça pour avoir l'air d'une princesse ! tandis qu'elles me font plus l'effet de sorcières... Mais bon, ce n'est pas à moi qu'elles veulent plaire. C'est à un tas de muscle sans cerveau ; avec une bite au milieu. Ça leur suffit, aux deux. Tant mieux pour eux, remarque ; je ne suis pas le genre à juger des bonheurs misérables de mes semblables - et plus semblables que je me refuse à le voir. Tout bonheur est digne de considération, et la vie n'en réserve pas tant que c'est bon à prendre, sans état d'âme. Et si lui trouve qu'elle est bonne à prendre, et bien qu'il la prenne ! qu'il la renverse ou la soulève, et qu'ils se donnent tout le plaisir du monde à faire ce qui est vieux comme le dit-monde, même si on n'est pas du même.
Abdou et moi, on est d'un monde qui se cache encore. C'est injuste - si la justice existait - mais ça nous donne aussi un supplément d'intensité, volé à une société encore très archaïque et archétypée. Et là, sur une belle île, isolés des regards hostiles, dans la nuit protectrice qui enveloppe notre jeunesse printanière de douceur estivale, nous nous sommes rejoint, et joint, sans réfléchir à rien, en ne faisant que goûter l'instant, arrêté sur un temps suspendu à nos souffles haletants.
À suivre...
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le Roux et le Noir
Любовные романыQuand un fils "de bonne famille" rencontre un lascar de banlieue (tous deux 16 ans), sur une île bretonne... Ça ne donne pas Robinson et Vendredi, mais une chaude parenthèse amoureuse estivale.