Chapitre VI

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Mon premier réflexe fut d'aller au commissariat. Je voulais signaler la disparition de l'inconnue.

Il faisait presque jour quand j'arrivai sur le parking qui jouxtait le bâtiment de police. J'avais mis quarante cinq minutes environ pour arriver dans ce petit village de campagne. Largement de quoi décuver.

Je passai les portes du commissariat et me dirigeai vers le guichet. Une femme était assise derrière le comptoir le nez sur son mobile et c'est à peine si elle me remarqua. Puis, sentant une présence devant elle, elle daigna lever la tête vers moi et me demanda :

— C'est pour quoi ?

Une hallucination, pensai-je. Mais je ne pouvais décemment pas répondre ça.

— C'est pour une déposition, je voudrais vous signaler la disparition d'une jeune auto-stoppeuse.

— Ah, c'est pour la dame blanche ? dit-elle le plus sérieusement du monde.

Je la regardai pantois sans répondre. Puis, après quelques secondes de silence, elle continua :

— Bon, prenez un ticket et allez vous asseoir dans la salle d'attente.

Je m'exécutai sans rechigner et pris place dans un petite salle où l'air était difficilement respirable : un relent de vieux vomi se mélangeait à une âpre odeur de clodo mouillé. A côté de moi se tenait une femme sans âge avec un oeil au beurre noir et, à côté d'elle, un jeune garçon d'une vingtaine d'année habillé d'un survêtement vert – si vert qu'on aurait pu choper une crise d'épilepsie – et qui dormait la bouche ouverte.

Laissez moi deviner, pensai-je, une femme battue et une racaille éméchée. Double combo !

Je suis donc resté là pendant un long moment jusqu'à ce qu'un policier se pointe à la porte avec une démarche de cow boy (les pouces à l'intérieur du pantalon). Il appela le numéro 342. La femme battue se leva et je me retrouvai seul avec le jeune qui dormait.

Une mouche virevoltait au dessus de lui. Je la regardai tourner pendant un long moment en me demandant si elle allait finir par se poser. Puis mon regard se posa sur la fenêtre et je laissai mon esprit divaguer au delà des barreaux rouillés.

Je repensai à la forêt. A cet étrange bois sombre qui semblait dévorer tous les esprits sains qui s'y aventuraient. Je repensais à cet accident qui n'avait pas eu lieu puis à la disparition de cette fille aux yeux noirs et à sa robe blanche. Mes paupières devinrent alors très lourdes. Le sommeil guettait mais je luttai pour ne pas y succomber. Je ne voulais pas m'endormir comme le jeune en face de moi et risquer un filet de bave aux commissures des lèvres. Non je devais rester éveillé et attendre le policier. De longues minutes s'écoulèrent ainsi.

Puis la mouche s'approcha de la racaille et se posa... dans sa bouche.

*

Le policier revint quelques dizaines de minutes après pour appeler le numéro 343. J'avais le numéro 344. Le numéro 343 étant bien endormi, il me fit un signe de la tête m'invitant à le suivre. Il m'emmena dans son bureau, s'assit derrière son ordinateur et, les mains sur le clavier, demanda :

— Alors qu'est-ce qui vous est arrivé ?

Je lui racontai mon aventure avec le plus de détails possibles. La sortie en boîte, la voiture qui ne démarre pas et dont la batterie avait été débranchée, l'auto-stoppeuse, sa disparition. J'avais volontairement omis de signaler les pintes que j'avais ingurgitées pendant la soirée, ainsi que le supposé accident qui n'avait pas eu lieu.

Le policier, très attentif, retranscrivit tout ceci dans son PC. Puis, l'air satisfait, il se tourna vers moi et dit :

— Ok c'est la dame blanche.

— La dame blanche ? répondis-je avec incrédulité.

— Oui, vous n'êtes pas le premier à faire une déposition similaire. Régulièrement, nous avons des cas comme le vôtre. Et ils semblent se produire de plus en plus fréquemment.

— Vous voulez dire que je ne suis pas le seul ?

— Non, et d'ailleurs, je ne devrais pas le dire mais c'est tellement fréquent dans ce patelin que nous avons un protocole pour ça. La préfecture nous demande de le suivre scrupuleusement. Il faut que vous soyez reçu comme n'importe quel autre plaignant. Nous n'avons pas le droit de nous moquer de vos hallucinations ou autres histoires de fantômes.

Je restais quelques secondes sans rien dire. Il fallait que j'assimile toutes ces informations.

Quand le Policier relut ma déposition et prononça avec sa voix grave la reformulation de tout ce que je lui avais raconté, je pris tout à coup conscience du caractère absolument invraisemblable de cette histoire. Finalement il avait peut-être raison, j'avais sans doute été victime d'une sorte d'hallucination. Comme dans un rêve éveillé, mes pensées avaient dû laisser libre court à mon imagination et les deux pintes que j'avais prises dans la soirée avaient dû faire le reste. Ce que je n'expliquais pas par contre, c'est le fait qu'on ait été des dizaines et des dizaines à avoir eu le même genre d'expérience hallucinatoire. Pour le coup, c'était vraiment étrange et cette réflexion me laissa perplexe.

Tout à coup, un grésillement s'échappa du talkie walkie du policier.

"Appel à toutes les unités, appel à toutes les unités. On nous signale un accident sur la départementale dans la forêt du loup pendu. Demande de renforts immédiats."

— Arfff... il va falloir que j'y aille, dit le policier en grimaçant. Puis s'adressant à son talkie walkie : "Ok ici central 2, je suis sûrement le plus proche. Je vais me rendre sur les lieux."

Il se leva alors pour enfiler sa veste.

— Je suis désolé, une urgence. Est-ce que vous pouvez relire la déposition et la signer rapidement pendant que je vais chercher mon matériel ?

— Oui pas de problème, répondis-je en me demandant de quel sorte de matériel il avait besoin.

Il s'éclipsa alors par la porte située derrière son bureau et je me retrouvai seul devant la feuille à signer. Je la pris dans mes mains et allait commencer à la relire quand mon regard se posa sur l'écran de l'ordinateur où était affichée une liste de noms accompagnés d'adresses et de numéros de téléphones. Sans doute la liste des victimes hallucinées de cette supposée dame blanche.

C'était une opportunité inespérée que je ne pouvais pas laisser filer.

La Dame BlancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant