Il faut compter une quarantaine de pas, une fois que l'on a passé le petit portail en bois noir, pour atteindre le palier de la maison de mes parents. Cependant lorsqu'on est fatigué ou que l'on a passé une mauvaise journée, le trajet se rallonge d'une dizaine de longs pas.
Au contraire, lorsqu'on est d'humeur joyeuse, il se raccourcit considérablement. Mais peut-être c'est que l'attention se réduit de beaucoup lorsqu'on est heureux, et qu'alors il est moins important de compter ses pas que de sautiller sur les dalles plates du jardin en respirant l'air frais.C'était en fait assez souvent que je traversais la petite cour de mes parents le sourire au lèvres pour faire claquer des bises sonores sur les joues de mes deux frères m'accueillant d'un « Emma ! » ravi.
La petite maison était située bien au nord de la banlieue lyonnaise, sur la petite colline d'Irigny où mes parents avaient trouvé un confort rassurant et prometteur pour la famille. Le quartier dans lequel j'avais vécu plusieurs années ne ressemblait en rien aux terres boueuses et sales qui bordaient Lyon et ses alentours. C'était Maman qui m'avait convaincu de venir passer les vacances à la maison et je souriais bêtement à l'idée de pouvoir vider ma tête pendant un mois entier.
Je bossais toute la semaine dans un pub du Ve arrondissement, pas assez chic pour repousser les ivrognes, mais qui m'offrait des horaires décents et un salaire acceptable. J'avais croulé sous les factures ces derniers mois et c'était avec joie que j'avais accepté de jouer les barmaids à l'Esprit Mieux.
C'était un nom de boulangerie tout au plus, mais mon patron savait le défendre. Jacques Mieux se délectait du jeu de mot qu'il avait fait avec son nom, et personne n'avait jamais songé à lui faire remarquer un quelconque faux-pas.
À vrai dire, j'avais l'impression qu'il prenait plaisir à se tenir en petit fonctionnaire. Ses chemises trop vertes qui lui donnaient des lueurs blafardes, et sa grande taille qui lui conférait l'air d'être coincé dans ses pulls trop serrés. Je le plaignais parfois, lorsqu'il restait au bar le soir pour me regarder nettoyer les verres, un voile sombre devant ses petits yeux marrons.
Je travaillais parfois jusqu'à deux heures le matin et Jacques m'avait accordé sa confiance à de nombreuses reprises. C'était un peu réticent qu'il m'avait lancé les clefs du pubs en grommelant un « Tu feras attention à bien fermer en partant ».
Je prenais donc très au sérieux mon rôle et lorsque la fin de mon service approchait, je jetais les ivrognes dehors et fermait l'Esprit Mieux à clef.
Si je terminais avant minuit, je prenais le funiculaire de Fourvière pour remonter sur la butte. Dans le cas contraire, je comptais mon argent pour appeler un taxi, ou rentrait à pied jusqu'à l'immeuble.
Je finissais toujours par m'écrouler sur le matelas XXL de ma coloc qui travaillait de nuit, et ne me réveillai qu'une fois le soleil levé. L'appartement n'avait pas de stores et c'était un réveil assez agréable que de se faire chatouiller le visage par les rayons du soleil.
Sophie Maure était la fille d'un collègue de mon père qui m'offrait gentiment son appartement les soirs de semaine puisqu'elle bossait à l'aéroport de Lyon. Grande et athlétique, elle semblait si différente de moi que j'avais du mal à m'entendre avec elle. Dans les discussions qu'elle tenait à ses amis, je passais souvent pour sa dépravée de copine qui campait chez elle.
C'était ce genre de fille capable de maigrir rien que par la force de sa volonté, ou d'arrêter de boire aussi facilement que lorsqu'on enfile une chaussette. Je l'admirais et nourrissait en même temps une jalousie malsaine pour sa joie de vivre éclatante.
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Elles dorment sous la montagne
Mystery / ThrillerLorsqu'Emma croyait enfin trouver un peu de paix en passant des vacances bien méritées avec sa famille, elle reçoit un appel à l'aide inattendu. Son ancienne camarade de fac, Linda, paraît au fond du trou. Cette dernière est retenue dans un hôpital...