Inévitable

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Inévitable

           

Anadela est étendue sur le dos, les cheveux en batailles et le souffle court. Elle observe le ciel à travers les branches de sapins et pour un bref moment, elle se sent presque paisible malgré l'idée que son enfer est sur le point de recommencer. Au loin, elle entend son nom et les bruits de pas qui se rapprochent de plus en plus, mais rien ne brise sa paix intérieure. Elle est résignée et sait qu'il ne lui servirait à rien de courir, puisqu'ils la retrouveraient toujours. Accroché à une branche se trouve une corde et Anadela sait ce qui se trouve à l'extrémité de celle-ci. Elle inspire profondément et ferme les yeux, attendant d'être trouvée par l'équipe de secours. Quelques secondes plus tard, des lumières se font voir à travers les paupières toujours closes d'Anadela et celle-ci comprend que c'est le début de la fin.

-          Elle est ici! Dit un des secouristes.

Anadela se sent alors soulevé presque brusquement, mais elle se laisse transporter en toute résignation. Elle ouvre les yeux pour n'avoir comme dernier contact visuel avec la réalité que le corps du pendu qui semble la regarder droit dans les yeux. Anadela pousse un dernier cri avant d'être piquée par une seringue qui l'endort sur le coup.

Anadela se réveille en sueur, le cœur battant la chamade. Elle se redresse dans son lit et se dépêche d'aller rejoindre sa mère dans la cuisine. Le soleil illumine la pièce d'une manière presque théâtrale, mettant l'emphase sur sa mère qui lui fait dos, ses longs cheveux marrons lui tombant en cascade sur les épaules. Celle-ci se retourne lorsqu'elle entend les bruits de pas de sa fille et lui offre un grand sourire qui semble encore plus brillant que le soleil lui-même.

-          Bon matin mon ange, as-tu fait un autre cauchemar? Lui demande-t-elle d'une voix douce et étrangement triste.

Ne voulant pas inquiéter sa mère, Anadela décide d'oublier son rêve étrange, mais pourtant si familier. Les deux femmes déjeunent ensemble, sans aucune trace du père ou du frère d'Anadela, mais celle-ci n'y porte pas attention, trop heureuse de passer enfin un peu de temps seule avec sa mère.

Après avoir mangé un bon repas, la maman d'Anadela va la reconduire à son école et avant que la jeune fille ne sorte du véhicule, sa mère l'attrape par le bras pour qu'elle la regarde.

-          Mon petit amour, soit prudente à l'école aujourd'hui, d'accord? Ce soir c'est papa qui va venir te chercher, maman va devoir s'en aller très loin, mais ne t'inquiète pas, elle va revenir...

Insouciante, Ana lui sourit et quitte le véhicule en prenant soin de se retourner pour lui faire un signe de la main et remarque que sa mère lui semble alors différente, comme si un voile cachait son vrai visage. Elle rejoint ses amies qui paraissent toutes un peu mornes, contrairement à l'habitude.

Les cours se déroulent normalement, outre l'ambiance terne, pourtant Ana se sent bizarrement anxieuse et remarque que les gens agissent d'une manière légèrement différente. Elle commence à se demander si tout cela ne provient que d'elle. Alors qu'elle était dans le dernier cours de sa journée, Anadela réalise que les gens autour d'elle semblent agités et une de ses amies se fait plus particulièrement remarquer. Ana remarque d'ailleurs que les cheveux de celle-ci sont plus courts qu'ils ne l'étaient la veille et plus elle observe son amie, moins elle la reconnait. Soudainement, l'amie d'Ana se met à hurler et se lève brusquement avant de jeter tous ses cahiers sur le sol. Tous les élèves se reculent, choqués par la scène inattendue et Anadela observe la classe comme si les réactions étaient anormales, comme si ce qui se déroulait devant elle n'était pas surprenant. Deux hommes entrent dans la classe et prennent l'amie d'Ana par les bras et l'entraînent de force vers la sortie de la classe alors que celle-ci commençait à s'autoflageller de manière très violente.

Anadela profite de la confusion amenée par l'absurdité de la scène pour sortir de la classe en douce et suivre les deux hommes et son amie. Un drôle de sentiment la gagne tandis qu'elle avance le long du corridor. Les portes des classes commencent de plus en plus à ressembler à des portes de chambres et les couleurs des murs s'effacent pour laisser place à un blanc uni et propre. Puis, les hommes entrent dans une pièce qui semble être l'infirmerie et l'amie d'Ana continue de hurler alors qu'on la pique à l'aide d'une seringue. Anadela est sous le choc et elle laisse malgré elle un cri traverser ses lèvres. Un des deux hommes se retourne et semble surpris de la voir sur le seuil de la porte.

-          Ana, n'aie pas peur, ce n'est pas ce que tu crois, lui dit-il en essayant d'être le plus rassurant qu'il le peut, comme s'il craignait une réaction de la part d'Anadela.

Anadela perçoit ces paroles comme un signal d'alarme qui la pousse à s'enfuir sans regarder derrière elle. Ana réalise alors que l'école est en fait un hôpital et que les gens qui s'y trouvent lui veulent du mal. Elle doit s'enfuir maintenant, sinon elle ne reverra jamais sa mère.

Anadela retrouve la porte d'entrée et y sort, réalisant que l'immeuble est entouré d'une forêt qui lui apparait comme son seul moyen de fuite. Au loin derrière elle, elle entend des gens hurler son nom et lui dire de revenir, mais l'adrénaline pousse Ana à courir encore plus vite et à s'engouffrer dans la forêt. La panique la gagne alors qu'elle entend les gens se mettre à sa poursuite. Les jambes d'Ana deviennent molles et elle a de plus en plus de difficulté à respirer. Soudainement, Anadela trébuche sur une racine et tombe violemment sur le sol, se cognant brusquement la tête contre un tronc d'arbre. Pendant quelques secondes, elle n'entend plus rien et sa vision devient complètement noire. Lorsqu'elle retrouve enfin l'usage de ses sens, une série d'images traverse l'esprit d'Anadela, des archives oubliées du passé qui semblent lui revenir brusquement et violemment, la figeant sur place.

Anadela voit pendue sur une branche d'arbre sa propre mère, déjà bien morte, le visage tordu par la tristesse et les yeux empreints d'une douleur infinie et incurable. Elle reconnait la forêt qui l'entoure, les voix des gens qui la cherchent, se souvient de l'hôpital psychiatrique et réalise que son amie d'école était en fait une des autres patientes de l'hôpital. Anadela n'a plus 11 ans, elle a désormais 23 ans et elle revit sans cesse le même jour, celui où elle à découvert le corps de sa mère.

Anadela est étendue sur le dos, les cheveux en batailles et le souffle court. Elle observe le ciel au travers des branches de sapins et pour un bref moment, elle se sent presque paisible malgré l'idée que son enfer est sur le point de recommencer. Elle est résignée et sait que courir ne servirait à rien, car on ne peut pas fuir l'inévitable.

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