I - Éclats dans l'obscurité

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Lys passa devant un petit bar exigu qui affichait son nom en larges lettres jaunes « le pois chiche ». Il leva la tête aux éclats de rire. Les bribes d'un chant d'anniversaire vinrent doucement le chatouiller. De petites guirlandes de lumière illuminaient l'endroit, rassemblés autour d'une grande table, quelques amis chantaient. Un gâteau orné de bougies, crépitait. Une atmosphère chaleureuse émanait de la scène, Lys s'arrêta quelques instants pour les contempler. Il abaissa la capuche qui projetait une ombre protectrice sur son visage. Il aimait se réfugier derrière le bout de tissu pour aucune raison particulière. La capuche lui permettait de se sentir en sécurité, rien ne semblait pouvoir l'atteindre. Les paroles lui revinrent en tête et les mots glissèrent d'eux mêmes d'entre ses lèvres accompagné d'une discrète mélodie 

« If I could save time in a bottle 

The first thing that I'd like to do Is to save every day '

Til eternity passes away ». 

Il glissa un regard sur sa droite puis sur sa gauche, scruta les visages des amis qui célébraient l'anniversaire ensemble. Personne ne l'avait remarqué. Alors, il dressa sa main devant lui, ses doigts légèrement repliés. Le cœur de sa paume sembla soudain aimanter une part de lumière. Il ferma le poing et fourra le fragment de bonheur au fond de sa poche. Bien au chaud contre sa cuisse, il palpitait. Lys s'éloigna et les mots « un discours, un discours » le poursuivirent. « Fais pas le timide fais nous un discours» s'exclama au loin une voix féminine. Puis s'en était tout de l'anniversaire coloré. 

Bifurquant au bout de la rue, il rabattit la capuche sur sa tête et s'enfonça dans l'ombre de la rue. L'anonymat du silence et de l'obscurité virent l'étreindre tendrement. Il adressa un sourire à la nuit avant de s'engouffrer par le portail principal, puis la porte de son appartement. Là, dans une pièce qui aurait du être une chambre, il sélectionna un des bocaux qui traînait sous son bureau en bois sombre. Il vint titiller la bribe de souvenir et l'extirpa de sa poche. Sa lumière irisée lui arracha un sourire. Il approcha lentement son oreille de la lumière et entendis les échos de voix du groupe observé précédemment. Ils semblaient crier et rire au loin. Il fit glisser le fragment dans le bocal et le referma soigneusement. Enfin, le fragment vint rejoindre ses compagnons qui brillaient d'ores et déjà sur les étagères. 

Le fragment qui séjournait dans le bocal voisin brillait d'une douce lumière bleutée, Lys l'avait récolté sur un jeune garçon qui était tombé de sa trottinette. Pleurant à grosses larmes, le gamin s'était réfugié au creux de l'étreinte de son père. C'est ce sentiment doux-amer ou le réconfort inonde la douleur et la peur, que Lys avait capturé. Le jeune homme ne collectait pas seulement des souvenirs heureux, il est de certaines douleurs qui sont parfois divines et de certains ennuis qui sont délicieux. De ceux que vous aimez redéguster au coin d'un feu – ou à défaut d'en avoir un, au coin d'un radiateur - emmitouflé dans un plaid. 

Lys s'assit sur la chaise qui faisait face au bureau. Il s'empara de Robert - c'est ainsi qu'il avait prénommé son ours en peluche - et le serra fort contre sa poitrine. Enfin il dirigea sa paume vers lui et tenta de saisir le réconfort qui provenait de cette étreinte avec l'ourson rondelet. Il demeura ainsi quelques instants sans aucun résultat. Lys posa l'ourson sur son bureau avec déception. Ou du moins en était-ce seulement ? Il n'arrivait pas à déterminer s'il était réellement capable d'émettre des émotions assez puissantes. Il n'avait jamais pleuré. Cette déception qui lui serrait le cœur était-elle réelle ou bien mimait-il ce qu'il avait auparavant observé ? Lys se coucha, les lumières des fragments dansaient sur les murs, il aurait aimé pouvoir pleurer. Il se contenta d'enfoncer son visage dans le coussin moelleux et de fermer les yeux jusqu'à ce que l'obscurité l'enveloppe.

A l'ombre de la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant