Du plus loin qu'il se souvenait, Lys s'était toujours sentit étrange. Il avait de ces parcours classiques qui sont ennuyeux à narrer. Lys avait toujours réussi à être un élève banal. Jamais démarqué clairement, la moyenne restait un bon mur de protection. Jusqu'au jour où il avait été démasqué. Ce professeur aux cheveux grisonnants s'était approché de lui
« Dans l'ensemble c'est correct, comme toujours, mais je voulais du lyrique. Tu ne parles jamais réellement de ce que tu ressens, de ce que tu souhaites. Le lecteur est curieux »
avait-il dit en agitant sa copie sous son nez. Lys avait piqué un fard ; il ne savait pas comment faire, il en était incapable. Et le jeune garçon n'aimait pas qu'on le pointe ainsi et qu'il ressorte de la masse, cela provoquait chez lui un inconfort des plus intolérables. Il s'était alors fait une grande promesse : simuler le sentiment. Il serait un mensonge vivant qui agiterait ses affects dégoulinants au plus offrant. Il avait étudié l'humain sous tous ses angles. Toutes les teintes de la tristesse, toute les faces de la joie. Et il avait goutté, à travers l'altérité, toujours, toutes les saveurs de l'Homme. L'aigre-doux de la mélancholie et l'amertume de l'échec, de la déception. Il avait laissé fondre sur sa langue ce microcosme tout entier, toutefois une chose lui restait étrangement énigmatique. Il n'arrivait pas à élucider le mystère de l'amour.
Lys se démena pour se débarrasser de sa couette, enroulée tel un serpent autour de ses jambes. Il regretta instantanément la chaleur qui l'avait bercé durant la nuit. Devant son miroir, son visage pâle, ses yeux creusés par la fatigue ; il observa les tâches qui mouchetaient la surface réfléchissante. Il se brossa les dents, améliorant au passage la collection de tâches de la glace, s'habilla, enfouit une pomme au fond de son sac en toile, un livre et claqua la porte derrière lui. Le soleil violent semblait plonger ses longs doigts au plus profond de son crâne. Il enfonça sa casquette sur sa tête, quelques cheveux s'échappaient de l'étreinte du tissu. Il délogea les lunettes qui pendaient au col de son t-shirt sombre et les posa sur son nez. Tout semblait déjà mieux. Le monde avait revêtu un aspect sombre qui ravissait le jeune homme. Dans la rue, alors qu'il marchait d'un pas rapide, il détailla comme à son habitude, les passants. Là, une rousse à la robe verte et au regard désespéré. Ici une femme aux cheveux crépus, comme une magnifique auréole sombre autour de sa tête, un sourire fermement accroché aux lèvres. Plus bas, le vieillard qui faisait la manche, ses yeux pâles, sa peau parcheminée, il n'attendait plus rien de la vie. Un autre homme sans sentiment. En dévalant les marches du métro, sa carte violette brandie en prévision de l'automate, Lys bouscula une femme chargée d'une poussette. Quelques chose en lui remua, lui demandant de l'aider, mais il n'osa pas, demeura au stade de misérable spectateur. Elle lui lança un regard de dédain qu'il avait amplement mérité, il enfonça sa tête dans ses épaules, puis disparu au coin d'un couloir. Assis sur un de ces sièges en moquette verdâtre, Lys observa le ruban de la Seine étinceler sous ses yeux. Puis les grands bâtiments rectangulaires projetant de longues ombres. Et les arbres aux feuilles cuivrées, éparpillant aux quatre vents les témoins de leur existence. Il descendit à sa station et marcha jusqu'au parc. Il trouva une pelouse, disposa son manteau sur cette dernière alors qu'une légère brise lui dévorait la peau. Et enfin, s'allongea avec souplesse sur le tissu à carreaux. Il ferma les yeux car le soleil le poignardait de nouveau. Seulement quelques instants. Quelques instants pour se perdre dans le dédale de ses pensées.
L'amour apportait toujours plus de malheur que de bonheur. L'amour était un horrible monstre. Lys restait perplexe : comment se faisait-il que tant de personnes veuillent se lancer dans cette aventure. Le jeune garçon trouvait cela incroyablement déraisonnable. L'amour ne triomphait par ailleurs jamais. Quels que soient les dires des contes. Pascale pouvait bien prétendre ce qu'il voulait, en attendant le cœur n'était pas le moins du monde une entité individuelle. Le cœur n'avait pas de pensée, il ne pouvait pas s'opposer à la raison. Ce devait être la raison qui s'embrouillait toute seule. Lys ouvrit de nouveau les yeux et se redressa, le livre qu'il extirpa de sa sacoche était une vieille chose cornée. Le titre proclamait : « Les vilains petits canards » Sûrement qu'il l'avait acheté chez un bouquiniste. Mais il ne se souvenait pas.
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A l'ombre de la nuit
RomanceLys est un jeune garçon qui tente de se comprendre. Dans sa quête où il tente de démêler les differentes choses qui lui nouent la poitrine, une question subsiste : Qu'est ce que le sentiment?