Belle se posa devant le portail, déjà, des cadavres à demi dévorés jonchaient le sol détrempé de sang. Elle reconnu le boulanger, sa moustache ornait la partie inférieure de son visage, seule partie encore raccrochée à son cou. Un peu plus loin elle aperçut des dépouilles d'enfants, elle n'eut pas la force de s'approcher mais reconnu aisément les plus jeunes de la progéniture du maire. Elle ouvrit les grilles en fer forgé, qu'elle avait déjà emprunté, avec difficulté. Une femme avait été empalée sur les longues piques en fer qui en hérissaient le pourtour, Belle essuya ses mains ensanglantées sur sa jupe, réprimant un haut le cœur en voyant les viscères s'enrouler joyeusement autour des barreaux, formant une décoration morbide et terrifiante.
Ce fut le même spectacle durant son ascension, des membres disloqués avaient volé de part et d'autre des escaliers en pierre, marbrant leur couleur grise de tâches brunes. Des gémissements provenant des corps lui indiquaient que les blessés avaient été honteusement abandonnés, les condamnant à une mort longue et douloureuse.
Las de ce spectacle horrifique, Belle leva les yeux et courrut presque jusqu'à la grande porte défoncée, enjamba le tronc d'arbre ayant servi de bélier puis pénétra dans le château. Et elle aurait préféré rester dehors. A l'intérieur, le spectacle était encore plus terrifiant que dehors. Partout, des corps s'amoncelaient, des femmes décapitées, des hommes pendus aux balcons par leurs viscères, des adolescents empalés. Les objets avaient livrés une terrible bataille, écrasant, défonçant des crânes, arrachant des membres. Un véritable carnage. De leur côté, les humains avaient aussi détruit la plupart des objets, Belle faillit hurler en voyant Madame d'Arre Moire éventrée, le bois arraché et les portes poignardées. Ben était là aussi, son cadran était brisé en mille morceaux et ses aiguilles formaient des angles anormaux, à ses côtés, Lux avait été tordu et cabossé, ses bougies arrachées sans la moindre pitié. Les yeux de certains villageois ayant été calcinés, la jeune femme se doutait un peu pourquoi.
Avisant une hache sur le sol elle s'en saisit, traversée par un pressentiment.
Des applaudissements retentirent dans ses oreilles comme un glas, elle leva les yeux et vit celui qui frappait dans ses mains avec un rictus victorieux.
« – Quel spectacle ! S'exclama-t-il, j'en aurais presque la larme aux yeux ! »
Le rire hystérique de Hemrich résonna dans la pièce, il ne semblait pas pouvoir s'arrêter.
« – Tu as cru pouvoir m'échapper Belle ! Vois le résultat ! Tu es responsable de tout cela ! » Lui hurla-t-il en riant de plus belle.
La demi-fée serra les point, elle ne voulait plus l'entendre, jamais. Elle voulait qu'il se taise.
« – Maintenant que je t'ai retrouvé, nous allons pouvoir..., commença-t-il avec un grand sourire.
« – Non ! Jamais ! » Lui cria sa fille.
Le monstre sourit vicieusement, il semblait fort à présent, perché en haut de ces escaliers calcinés, comme un aigle avant de fondre sur la souris sans défense.
« – Je ne crois pas que tu sois en position de décider de quoi que ce sois...ce bracelet, persifla-t-il en désignant le bras gauche de Belle, te lie à moi ! Et tu ne peux l'enlever ni rompre le charme ! Quand Gaston en aura terminé avec la créature qui vit dans ce château, il t'emmènera de gré ou de force ! »
Autour de la jeune femme, tout sembla ralentir. Elle leva la hache qu'elle tenait de sa main droite, sachant pertinemment qu'elle ne pouvait pas tuer Hemrich sans avoir retiré ce bracelet maudit sous peine d'être envoyée dans les limbes. Le seul moyen était de lever l'emprise de son père sur elle et de le tuer ensuite. Tour à tour, elle observa la partie de son poignet au dessus du bracelet et la hache qu'elle serrait à en faire pâlir ses jointures. Le monstre dressé devant elle suivit son regard et blêmit.
Belle releva la tête, ses yeux reflétaient une profonde et intense détermination. Elle marcha jusqu'à une colonne en pierre effondré, retira son gant et le laissa tomber par terre puis remonta sa manche jusqu'au coude. Elle détacha le ruban de ses cheveux, l'enroula autour de son bras et fit un nœud serré. Le garrot ainsi fait, tout cela en ne quittant pas son père des yeux, Belle sourit.
La jeune femme serra le poing.
Brandit l'arme.
Hurla.
Alakein descendit les escaliers, il passa près de corps affreusement mutilé puis vit Belle. Dune beauté sauvage et indomptée.
D'une main, elle brandissait une hache, de son pied, elle maintenait une masse informe, sanglante. Un mélange de chair et de vêtements à terre. Elle frappait. Encore et encore. Son visage marqué par la douleur était maculé de terre, de larmes et de liquide vital.
Belle se redressa, lâcha la hache.
Un long hurlement sortit de sa gorge. Son corps brilla dans une explosion de lumière bleue s'étendant partout, libérant son pouvoir d'une puissance phénoménale.
Le sort de la fée verte fut rompu par la fée bleue.
Alakein, stupéfait, sentit son corps redevenir humain, un sourire éclaira son visage tandis que Belle le regardait, stupéfaite. Les yeux du comte, verts pâles, semblaient la remercier. Il était enfin libre.
Il s'approcha d'elle en écartant les bras, prêt à la remercier...mais avant d'avoir pu dire quoi que ce soit, une lame lui transperça le coeur.
Belle vit le sang jaillir de sa bouche, ses yeux se voiler. L'arme se retira de son corps qui tomba au sol.
En face d'elle, Gideon souriait de toutes ses dents.
Un rire perça dans sa gorge.
« – Et bien Belle ! Tu as l'air surprise ! »
La jeune femme hoqueta, c'était bien sa voix.
« – Maître mais...je ne comprends pas...pourquoi ? »
Le prêtre noir avança vers la fée bleue, dégustant l'incompréhension qui dansait dans ses prunelles
« – Il se trouve que je suis un des démons du monde d'en bas, il y a deux jours, ton maître est mort comme un chien, tué par un ogre noir alors qu'il cherchait un moyen d'enlever ton bracelet...j'ai emprunté son corps et je t'ai suivis pour m'assurer que tout se passe...mal. Mais bien sûr, c'est sans compter ton essence féerique qui est, je dois l'admettre, bien supérieure à ce que je pensais. ».
« – Sais-tu quel est le sort réservé aux assassins ? » Demanda doucereusement le démon.
Belle hocha lentement la tête.
Cependant il ne la tua pas. Il lui réserva un sort bien plus douloureux.
C'est ainsi que chaque nuit depuis plus de mille ans, une créature s'abreuve jusqu'à en devenir folle, d'une boisson à la couleur verte qui coule à flot. Cette Bête solitaire erre dans un château en ruine où personne n'ose s'aventurer, en clopinant sur trois pattes.
FIN
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La Malédiction de Belle
Short Story« Si un jour on m'avait dit que mon destin me mènerait jusqu'ici, j'aurais sûrement rit...ou pleuré. Certaines fois, il m'arrive de repenser à mon passé, aux valises que je traîne depuis si longtemps. Ma quête m'a menée là où jamais je ne me serais...