Chapitre 4

19 3 0
                                    

PDV Ilsker

Je m'efforçais de tenir en équilibre sur les deux roues verticales du vélo. Mon père courait derrière moi, près à me parer en cas de chute. Assise sur un banc, en train de lire un livre, ma mère s'était également assurée de ma sécurité en me serrant le casque sur la tête à m'en écraser la gorge. J'avais aussi des protections autour des coudes, du menton et des genoux qui étaient normalement pour le roller, mais que j'utilisais pour le vélo. C'était la première fois que j'essayais. Je ne trouvais pas ça extraordinaire, mais le rire et le yeux pétillants de fierté de mon père valaient bien tous les sports du monde.

Je revins à moi brusquement. J'ai cru tomber. Pourtant, je suis toujours debout, au milieu de la cuisine. Je me passe une main sur le visage, ruisselant de sueur. Le docteur m'avait bien dit que les premiers souvenirs qui resurgiraient me feraient un choc. C'est la sensation la plus étrange que je n'ai jamais ressenti.
Et puis je me rappelle de la fille qui préparait son gâteau, toute seule, avant que je ne l'interrompt.

Je quitte la cuisine le sourire au lèvres. J'hésite à continuer ma visite ou à retourner dans la chambre. Je fais un dernier tour puis je remonte.

La plupart de mes cartons sont toujours fermé et je n'ai pas eu le coeur à personnaliser la chambre. Étrangement, maintenant, j'en ai besoin. Le souvenir qui vient de resurgir dans mon esprit est bref et embrumé, mais c'est déjà quelque chose. J'arrive à présent à mettre un visage sur les surnoms de "Papa" et "Maman".
Je voulais tout retrouver, tout ce que j'ai perdu. Lorsque qu'un premier souvenir revient, on a envie d'en avoir d'autres. J'ai l'impression d'être un bébé, qui découvre tout, mais je ne suis pas sûr d'aimer ça.

J'empoigne une pile de photo et commence à en afficher au hasard. Sur la première, on me voit moi lors de ma remise des diplôme, l'air victorieux et ridicule, par ma traditionnelle tenue informe de diplômé. Mais j'avais l'ai heureux. Insouciant. J'ai la désagréable impression de ne pas être le garçon sur la photo. D'être comme lui physiquement, mais de n'avoir rien en commun avec lui à l'intérieur. Comme si on avait oublié de sauvegarder les donnés avant de quitter la page. Dans mon cas, avant de tomber dans le coma. Et ce vide me plombe, littéralement. Je n'ai rien pour m'accrocher et garder la raison claire.

J'accroche la photo, en espérant qu'elle finira par me faire rire, avec le temps. Soudain, une tache pourpre au fond de l'un des carton attire mon attention. Je l'en sort et découvre avec surprise mon passeport, encore en bon état. Il sent le cuir et le vieux papier. Je l'ouvre avec appréhension, comme si s'était une bombe prête à exploser. C'est un passeport français, mais il est marqué à l'intérieur que j'ai la double nationalité franco-américaine, avec mon nom: Ilsker West. Elle doit me venir de mon père. Ma mère est asiatique. Il y a ma date de naissance, après un rapide calcul, je découvre sans surprise que je n'ai que vingt-sept ans. A côté, une photo d'identité sur laquelle j'ai l'air d'un fêtard avec une bonne gueule de bois. Une chose est sûre, je ne suis définitivement pas photogénique. Les pages suivantes sont couvertes de tampons de différents pays. Principalement des États Unis, et de la Corée du Sud. Mais aussi du Japon, du Canada et de la Chine. Cette découverte me déprime encore plus. J'ai eu la chance de voyager aux quatre coins du monde et je n'en ai pas le moindre souvenir. Je me demande si ce passeport est encore valable. Et si je pourrais à nouveau voyager un jour.

Je repose le passeport, et sort un gros carnet duquel pleins de feuilles dépassent. Les bords sont pliés et la couverture est tachée. Il semble avoir bien vécu. Je l'ouvre, et découvre avec émerveillement des tas de dessins. Des croquis, des esquisses, des brouillons. Surtout des tenues de tout les genres, chaque centimètres des pages blanches sont recouverts de couleurs et de traits de crayon. Et je mets un certain temps à comprendre que c'est moi qui ait dessiné tout ça. Je suis émerveillé par moi même. Je ne sais pas si je pourrais refaire ça aujourd'hui, mais je me trouve enfin un talent. Je parcours avec une joie enfantine les illustrations, comme un gosse qui lit une bande dessiné ou un album. Il y a des habits de théâtre ou d'opéra, de ballet et même une double page pour les costumes de carnaval. Il y a plus de couleurs à cet endroit que dans tout le reste du carnet. J'avais mélangé des couleurs pour en créer d'autres et qu'aucun de ces vêtements ne soit identique. A la fin du carnet, des bouquets de fleurs séchées étaient scotchées ensemble. Des plumes de couleurs étaient parfois glissées entre les pages, des rubans et des coupures de tissus. Il y en a qui sont même tombées au fond des cartons. Puis, en me perdant dans la contemplation de mes dessins, je replonge dans le passé.

- Ilsker-chérie, tu as finis ?! C'est bientôt l'heure du levé de rideau et tu n'a vérifié les costumes de personne ! m'appela la voix perçante de Mona, la pianiste, et ex chanteuse d'opéra.

Aussi étrange que ça puisse paraître, je savais qui elle était. Comme si j'avais un post-it dans ma mémoire qui me permet de m'y retrouver. Mais que je ne vois que quand elle veut bien me le montrer. Ma mémoire est une entité capricieuse, et je n'ai toujours pas réussi à l'apprivoiser.

Je fais un petit signe en direction de Mona pour lui dire que j'arrive. Elle soupire et retourne à ses occupations. Je l'aimais bien, Mona. La maman de la troupe. On ne savait pas vraiment qu'elle était son âge, elle n'a jamais voulu nous le dire, mais quelques rides commençaient à se glisser sous ses yeux et son front. Elle s'habille de façon si extravagante qu'on voit rarement la différence quand elle est en costume avant d'aller sur scène. Ces boucles indisciplinées lui encadrent le visage. Mona en prend le plus grand soin et chasse chaque cheveux blancs qui tenterait de se faufiler dans sa chevelure écarlate.

Quelqu'un frappe à la porte. Il est temps de se mettre au travail. Je referme mon carnet de croquis en veillant à se que rien ne tombe, prend mes aiguilles et mes fils et fait signe à la personne d'entrer.

Je rouvre les yeux, un petit sourire au lèvres. Je supporte de mieux en mieux ces retours dans le passé. J'étais costumier. Cette réalité s'impose à moi comme une évidence, à présent, alors qu'il y a quelques minutes, elle ne m'aurait jamais traversé l'esprit.

Je pose le cahier sur ma table de chevet et retourne à mes cartons. Je sors quelques vêtements de bébé. J'ai porté ça, moi ?! Je les lancent sur le lit, et quelque chose tombe par terre. C'est un petit bruit léger , presque comme celui d'une clochette. L'objet tourne sur lui même et s'arrête quand il heurte le pied de la chaise. Je m'approche, tend la main, attrape l'objet du crime et le regarde plus en détail.

Avant de le lâcher, stupéfait.

C'est une bague. Avec gravé à l'intérieur, en lettre dorées:

E.S + I.W


The last moment to rememberOù les histoires vivent. Découvrez maintenant