Le dimanche 13 mai 1944,
quelque part en France.
Ma douce Annie,
Cela fait maintenant trois jours que je cherche quoi t'écrire, une semaine depuis le dernier attentat que j'ai monté, un mois et six jours que l'un d'entre nous n'est pas tombé, huit mois que j'ai rejoint ce groupe de défenseurs, huit mois deux semaines et cinq jours que je ne t'ai pas serrée dans mes bras.
Quelle soit maudite cette guerre!
Tu me manques. Ô mon amour si tu savais! Après notre dernier coup, les Boches nous ont pris en chasse! C'est drôle, nos visages ont rejoins les autres sur les murs de Paris, décidément ces nazis, on ne peut pas dire que l'image soit très flatteuse! Ils nous cherchent, ma tendre. Ils nous cherchent mais ne nous auront pas, jamais, n'aie pas peur Annie, je veille sur mes frères et ils veillent sur moi, nous protégeons la France! Sois fière mon aimée! Nous protégeons nos enfants et nos femmes, je te protège Annie, et je le ferais jusqu'à ce que ma terre soit devenue poussière et que mon cœur ait cessé de battre. Jamais je n'abandonnerai, je le jure! Ils nous cherchent mais nous, nous les traquons, nous ne sommes pas de vulgaires morceaux de papier pendants aux murs, nous sommes des hommes, de chair et de sang, et le liberté nous colle à la peau, ce n'est qu'une question de temps, nous les débusquons dans nos fermes, nos tavernes, nos églises et nos maisons. Nous posons nos explosifs et nous courons, il ne faut pas attendre longtemps; la mèche est courte.
Annie, ma tendre, tu sais c'est moi qui fais la reconnaissance du terrain. C'est parce que je suis le meilleur, le meilleur Annie. C'est moi qui rallume les chandelles lorsqu'il fait sombre, qui jette une couverture sur les corps qui frémissent dans le noir. Je suis celui qui chante le soir dans les rues, celui qui clame nos poèmes en plein jour sur les places. La poésie redonne espoir Annie tu sais. En as-tu déjà lu? En as-tu déjà entendu? Sais-tu ce qu'est La Voix? Elle est réelle tu sais, elle est là je l'entends Annie, c'est la voix des Hommes et de la liberté. Elle a beau venir de loin je l'entends parfaitement. Et si elle me parvient alors à toi aussi.
Elle est douce cette voix, il est doux ce poème. La nuit je le chante, le jour je le donne. J'en ai un pour toi mon amour, je le garde précieusement, sur mon cœur, juste au creux du torse, là où le battement régulier de mon sang le fait vivre, jusqu'au moment où je le déposerai dans ta paume.
Écoute le! C'est un message d'espoir, et si je l'entends, alors toi aussi.
« Je l'écoute. Ce n'est qu'une voix humaine Qui traverse les fracas de la vie et des batailles, L'écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages.
Et vous? Ne l'entendez-vous pas? Elle dit : « La peine sera de peu de durée » Elle dit : « La belle saison est proche ».
Ne l'entendez-vous pas? »
La belle saison est proche mon amour, et lorsque le soleil brillera dans le ciel, lorsque les oiseaux chanteront le matin, lorsque la rosée mouillera tes pieds nus et lorsque que les clochettes tinteront de nouveau sous le porche, je serai là. Car je reviendrai Annie, oh oui je reviendrai.
Je reviendrai pour te dire à quel point je t'aime, à quel point cet amour durera toujours, Annie.
Ce n'est qu'une question de temps.
Jean
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Oh Annie
PoetryLettre d'un résistant de la seconde guerre mondiale à son aimée. Extrait de poème: La Voix de Robert Desnos (Contrée, 1939-45) Exercice d'écriture, 2013