Riséd

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Les couloirs du château étaient depuis longtemps silencieux lorsque qu'Albus Dumbledore reposa sa baguette en se frottant les yeux, las. Il jeta un regard brouillé à la clef du pacte qui reposait sur son bureau. Cela faisait à présent deux semaines que Norbert la lui avait donné, et qu'il cherchait un moyen de le détruire. Il devait être très prudent. Briser le pacte le tuerait et laisserait le champs libre à Grindelwald.

Gellert Grindelwald.

Il ferma les yeux en sentant la vieille blessure se rouvrir, encore, de plus en plus douloureuse à mesure que le temps passait et que la réalisation s'enfonçait plus durement dans son esprit : jamais plus il ne serait proche de Gellert Grindelwald. Jamais plus il ne pourrait contempler en silence ses sourires fugaces, le décalage entre la couleur de ses yeux, les mèches d'un blond décoloré hérissées... Jamais plus il ne pourrait se laisser aller en sa présence, se laisser bercer par la voix suave et la conviction qui l'animait... La prochaine fois qu'il le verrait, ce serait pour l'arrêter, sans doute de façon... Définitive.

Sa poitrine se comprima sous un poids invisible à cette seule pensée. Il pouvait repousser l'échéance, il n'échapperait pas à l'inéluctable. Il savait pourquoi le mage noir avait recruté l'obscurial, et cela ne faisait que prouver ce que tout le monde savait et qu'il refusait d'admettre: entre lui et le blond, c'était fini. Gellert était un homme fidèle à ses idéologies, aussi horribles soient-elles, et le seul obstacle lui faisant réellement peur était Albus. Il le tuerait sans hésiter, et il le ferait par l'intermédiaire de Croyance parce que le pacte de sang l'empêchait d'attaquer directement le professeur.

La part logique de lui-même savait cela, mais elle était écrasée par les sentiments. Espoir fou, souvenirs heureux, et amour impossible.

Albus mentait, beaucoup, mais plus à lui-même. La mort de sa sœur, prix de son aveuglement, planait en lisière de sa conscience, tout comme l'absence de Gellert. Deux blessures qui ne cicatriseraient jamais, deux éternels poids qui l'enchaînaient au passé et à la douleur.

Il rouvrit les yeux et, avec un soupir, ramassa l'amulette et la fourra dans sa poche. D'un geste, il souffla les bougies et sortit dans le couloir froid enveloppé d'un sortilège de Camouflage poussé à son paroxysme.  Comme chaque fois que ses remords le torturaient trop et qu'il perdait pied dans l'abîme d'un désir tellement puissant mais qui ne serait jamais exaucé, c'est-à-dire presque chaque soir, il allait chercher sa dose de morphine émotionnelle.

Plus silencieux qu'une ombre, il déambula sans se presser dans les corridors déserts, ralentissant volontairement le rythme de ses enjambées. Il ne devrait pas être aussi dépendant. Entrevoir ce qu'il ne pourrait jamais avoir allait le rendre fou, il le savait. Fou de douleur, son âme déchiquetée et son cœur en miettes réduisant son esprit en charpie.

Pourtant, comme chaque soir, il poussa la lourde porte en bois et pénétra dans la crypte. Les cadavres de bureaux attestaient un passé moins secret, où la poussière virevoltait sous la vie des élèves au lieu de s'accumuler partout.

Un seul objet semblait intact. Une masse haute recouverte d'un grand drap autrefois blanc. D'une main, le professeur le tira, et le linge glissa dans un froufrou discret, révélant un miroir.

Dans sa surface laiteuse, Albus se voyait. Juste lui, son simple reflet, l'oeil vif mais triste, la posture nonchalante et défaite. Puis, un remous dans les profondeurs brumeuses. Il fixa son regard sur ce point, et sentit malgré lui sa peine s'alléger lorsqu'il apparut.

Gellert Grindelwald.

Il avait vieilli, comme lui, mais semblait encore plus dangereux si possible, un prédateur adulte tenant à la fois du félin et du serpent. Majestueux, gracieux. Le regard hypnotique, les gestes mesurés, le teint blafard se fondant avec ses cheveux décolorés. Le sorcier noir était un spectacle que le mage blanc ne se lasserait pas, jamais, de regarder. Sans un mot, ne quittant pas Albus des yeux non plus, il se plaça juste derrière son reflet. Prenant une inspiration comme pour refouler des larmes, le brun ferma les yeux et attendit.

Un contact soudain dans le creux de son cou le fit frémir. Il n'ouvrit pas les yeux cependant, afin de ne pas ruiner l'illusion. Au lieu de cela il tendit une main en arrière et effleura la pommette plus saillante qu'autrefois avec tendresse. Il sentit l'illusion se fondre dans sa caresse et il sourit avant de se retourner.

Après tout, il était seul, et personne ne percerait son secret. Personne ne pouvait compris le vide qui menaçait de l'engloutir, le besoin qu'il avait de combler l'absence d'un être cher.  Avec culpabilité, il songea que le miroir devrait plutôt lui montrer sa défunte petite sœur, et non pas son possible meurtrier. Mais le mirage raffermit sa prise autour de sa taille, l'attirant à lui, et il oublia tout.

Il dessina du bout des doigts la moustache, les lèvres fermes, le bouc sur le menton, avant de suivre la ligne de la mâchoire pour remonter à l'oreille. Il joua avec les mèches ébouriffées et sentit un soufflement amusé sur son visage. Puis Gellert se pencha et frotta son nez froid contre son cou. Une boule suspecte en travers de la gorge, Albus fit de même et il restèrent un long moment ainsi.

Ce fut Gellert qui bougea le premier, se retirant un peu pour caresser à son tour les traits d'Albus. Il gratta la courte barbe, suivit la courbe du long nez aquilin et traça le réseau de rides qui parsemaient le front du mage blanc. Albus se laissait faire, savourant la douce chaleur qui avait enfin comblé le vide, sentant le poids des yeux vairons braqué sur lui...

Il avait tout oublié, la guerre, le passé, le remords, la solitude et toute notion de réalité. Grindelwald avait toujours eut ce don de lui faire perdre ses repaires. Il ouvrit les yeux, voulut tendre le visage en avant pour embrasser ces lèvres dont il rêvait depuis si longtemps...

Son regard rencontra le mur auquel il faisait face, et son corps vacilla, privé du soutien du corps éthéré sur lequel il s'appuyait. Ses bras retombèrent, ses doigts griffèrent le vide pour tenter instinctivement de retenir le mirage, l'illusion qui avait guéri le gouffre dans sa poitrine. Cela ne dura qu'une seconde, avant qu'il ne revienne à lui comme on émerge d'un trip.

Il se plia en deux, en proie à une indicible douleur, et doucement, comme chaque soir, il se laissa glisser au sol pour pleurer toute sa peine et ses regrets.

Il était seul.

MirageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant