Fragments

Nuit noire

La nuit était plus noire qu'elle ne l'avait jamais été ; l'encre de toute une histoire s'était évaporée dans le ciel, empêchant même de voir des étoiles.

Comme toujours elle était là, gardant sa propre étoile dans la main, au bord du vide comme un pied de nez au néant qui la guettait sans arrêt. Elle enchainait les cigarettes avec un calme qui faisait presque peur ; elle ne pensait à rien, et à tout en même temps.

C'est quelque chose qu'elle avait appris à faire au fil des années : être elle sans vraiment l'être. C'était les seuls moments où les chose lui paraissaient vraiment naturelles ; les émotions glissaient sur elle au lieu de s'immiscer sous sa peau comme des aiguilles et le monde semblait à nouveau à l'endroit, au lieu d'une version de lui-même qui aurait mal tournée.

Elle le faisait tellement qu'elle ne savait plus elle-même quand elle était réellement là ou non ; c'était sans doute pour ça que personne ne la comprenait plus, d'ailleurs.

Même plus lui. A moins qu'il ne l'ait jamais vraiment comprise.

Penser à lui la sortait toujours légèrement de son semblant de paix, et ça l'agaçait. Parfois elle aurait aimé qu'il cesse d'exister ; que son visage disparaisse totalement de ses souvenirs et que ses mots s'évaporent aussi haut que la fumée de leurs cigarettes. Parce qu'après tout, que lui apportait-il ? A part toujours revenir lui rappeler qui elle était -ou plutôt qui elle n'était plus- et lui faire perdre son équilibre déjà si difficilement trouvé ?

Mais en même temps, cet équilibre, il était le seul à avoir réussi à le briser ; et ça la rendait curieuse. Elle avait toujours eu le sentiment qu'il avait quelque chose de spécial, sans jamais avoir su pourquoi. Il semblait posséder un pouvoir sur elle que personne n'aurait jamais.

Alors parfois elle se rappelait, et se mettait, sans doute, à l'aimer.

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La nuit était noire et seul un minuscule fragment de lumière arrivait à l'éventrer ; une page blanche prête à être remplie se tenait au bord du sommet du monde.

Ce soir-là, elle avait décidé de l'aimer. De regarder l'amusement dans ses yeux lorsqu'elle utiliserait un briquet et de recommencer juste pour pouvoir le voir encore et encore reprendre confiance.

Et tant pis si demain elle décidait d'arrêter ; car pour une nuit, ça aurait marché.

Un sourire était creusé sur ses lèvres, le vent était doux et l'aube apparaitrait dans quelques heures. Il n'allait pas tarder à venir la rejoindre mais elle n'en pouvait plus d'attendre.

Heureusement, le bruit de ses pas résonna dans la cage d'escaliers quelques minutes plus tard. Le sourire s'étira encore sur son visage malgré les incommensurables efforts qu'elle faisait pour le freiner.

Il arriva sur le toit.

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La nuit était noire malgré le vent qui ne cessait d'essayer d'écarter les nuages étouffant la ville ; une plume restait en suspend au-dessus du papier.

Il avait beaucoup bu ce soir-là ; trop bu. Elle le su dès la seconde où il posa le pied sur la terrasse. Elle n'aimait pas qu'il boive. Il avait toujours l'air d'être moins lui ; ou peut-être qu'au contraire, il l'était plus. Mais dans ce cas elle préférait qu'il fasse semblant ; elle l'aimait mieux comme ça.

« -T'en as mis du temps, j'ai cru que tu viendrais pas.

-Ouais désolé, j'avais des choses à faire. »

Elle se retint de lui lancer une pique et l'invita du regard à venir s'assoir à côté d'elle.

Il ne le fit pas ; il vint chercher une cigarette dans son paquet et alla s'installer plus loin sur une chaise pour l'allumer.