Chapitre 1

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Mouche : Insecte diptère aux formes trapues, au vol bourdonnant et zigzaguant, aux antennes courtes, aux balanciers recouverts d'un cuilleron ; plus particulièrement insecte des familles des muscidés ou des calliphoridés.

La mouche est l'élément le plus insignifiant du monde : petit, rapide et beaucoup trop bruyant. Pourtant, ses yeux si particuliers lui permettent de voir des choses que nous, humains, ne pouvons pas voir, les choses les plus insignifiantes. Mais nous, humains, ne la voyons pas comme telle. Lorsqu'elle prend possession d'un wagon de train, elle y règne en impératrice bruyante et gênante. Qui parmi vous, n'as jamais tenté d'écraser cette reine exilée ? Je mentirais en vous disant que je suis innocente sur ce point. Mais Sa Majesté la Mouche observe tout sans qu'il n'y paraisse, elle se pose affectueusement sur notre bras ou bourdonne méchamment à nos oreilles. Elle se rapproche de nos vies et tente de la comprendre.

Pourtant, ce jour-là dans le train direct Paris-Houlgate, grande capitale- petite ville normande, Sa Majesté n'est pas la bienvenue : son bourdonnement s'ajoute aux cris stridents d'un nouveau-né et aux blablas sans fin des voyageurs. Elle se faufile entre les amoureux, rit à l'oreille des enfants, sprinte autour d'une grand-mère et voit tout. Leurs plus grands désirs et regrets, leurs plus grandes joies et tristesses. Ces yeux plongent dans les nôtres et y boivent notre âme.

Sa Majesté volette longtemps. Elle scanne chacun de nous avec attention, cherche ceux qui ont besoin de son aide, les âmes rendues grises par la tristesse. Elle se pose sur les fauteuils ornés de motifs disons originaux. Elle observe les écrans des ordinateurs et des téléphones. Elle scrute par les fenêtres le paysage défilait à toute allure. 

Et ce jour-là, elle se pose sur l'épaule d'Alexandre. Grand, mince, blond. Il est beau. Il sait et en profite. L'année précédente, il a choisi son surnom : Alexandre le Grand. Son seul exploit étant d'avoir conquis une nouvelle fille chaque semaine. Mais certains l'appellent, en chuchotant derrière son dos, Alexandre l'Arrogant. Juste avant de monter dans le train, il a embrassé une fille, grande, mince, belle. Il l'a embrassé mais ne sait déjà plus son nom. Il l'a embrassé mais il ne la reverrait plus jamais. Il l'a embrassé mais il ne s'en souciait pas. La semaine d'avant et celle d'encore avant, il avait fait la même chose. Dans sa ville, il s'était construit une petite réputation.

La seule fille dont il se souvient vraiment, c'est sa meilleure amie de maternelle. Eh oui, c'était il y a longtemps. Elle s'appelait Alice. La petite fille ressemblait à celle du roman de Lewis Carol : petite, blonde, grands yeux bleus et bien sûr ce grain de folie si caractéristique. Elle avait l'air d'appartenir à un autre monde : celui des merveilles de l'insouciance. Le regard des autres enfants ne l'avait jamais dérangé, ni celui des adultes. Ses plus beaux moments étaient avec elle : les heures passées au parc à s'inventer des rôles de Superhéros et de Superhéroïne dans leur monde imaginaire. Un jour elle était sa princesse, le suivant elle était sa sœur et la semaine d'après sa bonne fée. Elle veillait toujours sur comme il veillait sur elle dans une confiance aveugle et enfantine. Ils avaient leurs petits rituels d'enfants : chaque samedi, ils allaient au parc puis Alice dormait chez lui et ils se racontaient de nouvelles histoires dans le secret de la nuit. Leur amitié était inconditionnelle et éternelle. Mais Alice l'avait quitté, elle était partie du jour au lendemain, quelques jours avant les six ans d'Alexandre. Il l'avait cherchée partout : au parc, en haut de leur arbre, dans leur cabane. Et en arrivant devant son appartement à quelques rues du sien, il l'avait découvert vide et abandonné. La disparition de la personne en qui il avait le plus confiance l'avait marqué. D'abord, il s'était renfermé, n'avait plus parlé, plus rit, plus crié. Il se souvient encore de son vœu d'anniversaire : « Faites qu'Alice revienne, faites qu'Alice revienne ». Mais sa litanie n'avait servi à rien, il ne l'avait jamais revue. Son appartement avait accueilli de nouveaux habitants, un couple de personnes âgées sans une once de folie. Par la suite, il s'était construit une carapace d'arrogance et de fausse confiance en lui. Il ne la donnait plus à personne et encore moi à lui-même.

Le train à la mouche: histoires de trainWhere stories live. Discover now