Il ya comme une odeur bizzare.

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L’averse s’était enfin transformée en une petite pluie fine, éparse. À travers l’interstice de la porte, elle entrevoyait au loin la faible lueur d’un rayon de soleil. Une incitation à sortir de son trou. Elle était encore indécise à l’idée de s’aventurer à l’extérieur.
Pourtant, il fallait qu’elle sorte. Elle ne pouvait plus rester cloîtrée dans ce réduit. Il y avait trop longtemps qu’elle s’était réfugiée entre ces murs de bois, humides et inhospitaliers. Deux jours, trois jours, peut-être une semaine qu’elle avait fui la catastrophe ? Elle ne savait plus. Elle ne gardait que le souvenir des cris, des explosions, de sa course chaotique à travers les gravats, les corps calcinés ou massacrés, les maisons détruites.

Et puis, la fureur du carnage avait laissé place à un déluge de pluie sale, comme si de la suie tombait du ciel. D’épais nuages gris foncés avaient obscurci l’horizon et elle avait couru droit devant elle, sans se retourner, sans prendre le temps de s’orienter malgré la douleur, l’essoufflement, la panique. Elle luttait contre des trombes d’eau qui lui donnaient l’impression de se noyer à chaque fois qu’elle respirait.
C’était une pluie âcre, épaisse, qui lui donnait la nausée. Autour d’elle montait une odeur fétide, indéfinissable, à la fois sucrée, écœurante et rance, violente. Elle ne comprenait pas d’où venait cette odeur qui la faisait tousser, l’étreignait, l’asphyxiait. Plus elle aspirait l’air, plus elle s’étouffait dans cette odeur nauséabonde.
À bout de souffle et de force, elle s’était effondrée en butant sur un rondin de bois. Sa course l’avait jetée contre le mur d’une cahute assez délabrée, mais qui lui offrirait certainement une cachette momentanée. De toute façon, elle n’avait plus le courage d’aller plus loin. Une fois barricadée dans cet abri sommaire, elle s'était recroquevillée dans un coin et n'en avait plus bougé, comme si son immobilité pouvait effacer l’existence de la menace au dehors.
Mais l’odeur était toujours là, plus forte encore qu’à l’extérieur. Une odeur bizarre qui l’enveloppait, la coupait de toute autre sensation. Ses narines se dilataient comme si elles en cherchaient l’origine. Elle reniflait, avalant ses larmes et sa morve en même temps. Elle respirait par à-coups, entre deux sanglots, deux hoquets, essayant d’oublier la violence, les corps brisés, le sang noir, les mouches ; de faire taire les gémissements des mourants, le martèlement des pas de ceux qui fuyaient comme elle, les cris furieux des agresseurs. Mais chaque souvenir s’accompagnait de ce relent pestilentiel et les images qu’elle ne parvenait pas à refouler semblaient en décupler l'intensité. 
Submergée par l’odeur putride qui lui serrait la gorge plus sûrement qu’une main l’étranglant, elle poussa un cri et s’effondra, le nez sur le sol en terre battue. La pluie ruisselait sous la porte et détrempait le sol. La terre humide et collante lui maculait le visage. Elle s’essuya avec le bas de sa chemise, recrachant la terre qui s’insinuait dans ses narines et sa bouche. La terre qui exhalait un doux arôme d’humus, de bois, de feuilles...
L’averse s’était enfin transformée en une petite pluie fine, éparse. À travers l’interstice de la porte, elle entrevoyait au loin la faible lueur d’un rayon de soleil. Une incitation à sortir de son trou. Elle était encore indécise à l’idée de s’aventurer à l’extérieur, mais un peu de courage lui était revenu. Dehors, la lumière commençait à chasser les ombres. Elle huma le parfum de la terre, remplit ses poumons d’air frais, esquissa un sourire et comprit que l’odeur qui l’avait assaillie jusque là n’était que... l’odeur de sa peur. D’un pas assuré, elle franchit le seuil de la porte... Et l’odeur lui souleva le cœur, à l’instant même où elle vit l’homme lever la hache au dessus de sa tête. 
Il ne pleuvait plus et, du sol humide, s’exhalaient les fragrances chaudes et épicées de la terre après l’orage. Une petite rigole de sang y mêlait une odeur légère, indéfinissable. Mais, allongée au sol, le nez contre la terre, elle ne sentait plus rien.

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