La déesse de la nuit avait déposé une couverture étoilée sur Maa. Le peuple de l'ombre pouvait enfin sortir de ses villages souterrains pour boire la nuit, pour laisser l'air noir et frais chatouiller leur peau pâle. Cette bouffée d'air leur avait bien manqué. Et dans l'obscurité, ces êtres dansaient, soulagés de pouvoir à nouveau voir la lune.
Quelques-uns d'entre eux avaient échappé à la mort le jour dernier. Alors qu'ils étaient sous terre dans leur village pour se protéger de la lumière qui leur était mortelle, tout se mit à trembler. À la surface, des êtres essayaient de creuser pour les atteindre. On essayait de les capturer. Les êtres de l'ombre paniquaient. Les uns courraient dans les galeries sans vraiment savoir où se réfugier, les autres se recroquevillaient en attendant la fin. Les fondations en terre de leur maison commencèrent à s'effriter, à s'effondrer. Les galeries souterraines se bouchaient à cause du tremblement provoqué à la surface. On voulait les ensevelir. On voulait leur mort, c'était certain.
Des cris de panique envahissaient les profondeurs dont l'un d'eux se fit déchirant :
— Kemour ! hurla une femme, implorant son bien aimé de la sauver de l'effondrement.
L'homme en question, pris par l'angoisse, hurla le nom de sa femme, la chercha partout. Ses yeux rouges perçaient l'obscurité à sa recherche. Il dévisageait chaque personne qu'il croisait en espérant la trouver. Où était-elle ? Personne ne savait comment agir dans une telle situation. C'était la première fois que cela leur arrivait. Comment pouvaient-ils anticiper les actes des monstres à la surface ? La peur avait pris le dessus et s'immisça en Kemour qui s'enfonçait toujours plus loin dans les galeries en dégageant les éboulis. Il tendait l'oreille au cas où elle eût crié à nouveau son nom ; mais il n'entendit que ses semblables apeurés. Kemour frissonna et sa peur redoubla ; un courant d'air venait de pénétrer leur abri. Les ennemis à la surface avaient réussi à percer la couche de terre et de minerais qui les protégeait d'eux.
— Ce n'est pas bon, ce n'est pas bon, répétait inlassablement Kemour dont le visage traduisait la panique qu'il éprouvait.
— Nous sommes pris au piège ! hurlaient certains.
Que faire à présent ? Kemour ne le savait pas et personne ne le savait. Ils n'avaient plus qu'à attendre que cela s'arrête, en espérant que cela prendrait fin. Ils ne pouvaient pas remonter à la surface, la lumière du jour les brûlerait. Ce qui les réconfortait était de savoir que leurs ennemis ne pourraient pas descendre sous terre puisque l'obscurité empêchait leur corps de trouver l'énergie nécessaire pour vivre. Ils s'épuiseraient et finiraient par mourir à moins d'arracher complètement la couche qui les séparait d'eux, comme on enlèverait un couvercle ; mais cette éventualité leur glaçait le sang.
Kemour descendait toujours plus profondément, voulant fuir la surface et son danger. Il préférait mourir enseveli plutôt que d'affronter les brûlures du jour. Soudain, il entendit des cris de douleur qui le déchirèrent. Ils étaient atroces. Il n'osa pas imaginer ce qu'endurait ses confrères.
— Non non non, désespérait Kemour.
Sur son passage, il trouva une crevasse dans une roche et s'y réfugia. Il pleura. Il était impuissant face à cette catastrophe et ne pouvait qu'attendre la fin, attendre sa fin. Il avait du mal à respirer ; tout était enseveli et l'air commençait à lui manquer sans compter le fait que sa crise d'angoisse lui compressait la cage thoracique. Il ferma les yeux, s'emprisonnant dans le noir complet. Il sentait le sol vibrer sous ses pieds. Les pierres et la terre chutaient lourdement à l'entrée de la crevasse, la poussière envahissait le peu d'air qu'il restait. Tandis qu'il était en boule dans le creux de la roche, les cris et les tremblements cessèrent. Était-ce fini ? Le silence prit place.
— Un silence de mort, pensa-t-il.
Un frisson lui parcourut l'échine. Il ne savait pas s'il préférait entendre les hurlements ou ce silence morbide. Ce fut alors au bout d'un certain temps, d'un très long moment, que Kemour se décida à bouger. Il ne pouvait finalement pas se résoudre à attendre la mort. Alors il dégagea avec ses mains la terre et les pierres qui avaient recouvert l'entrée de son refuge et parvint à en sortir. Une tâche colossale lui faisait à présent face : afin de se diriger vers la source des précédents cris, il lui fallait se frayer un chemin parmi les nombreux éboulements. L'homme enterré vivant trouva alors en lui une détermination incroyable et se mit au travail. Sous l'effort, Kemour commençait à suffoquer. Il ne progressait pas assez vite. Il transpirait ; ses paupières étaient alourdies par la fatigue et la poussière ; ses mains s'abîmaient sur les pierres ; il était à bout de force. Néanmoins, il parvint à voir le bout de ce dur labeur et à sa grande surprise il se retrouva sous un ciel étoilé. Il semblerait que ses ennemis eussent finalement réussi à retirer l'enveloppe qui les protégeait des rayons du soleil. Kemour baissa alors les yeux et ce qu'il vit l'horrifia. Des cadavres gisaient, couvert de terre, de poussière, leur peau brûlée. Il ne put retenir un cri venant du plus profond de ses entrailles.
Pris d'effroi, Kemour se mit à courir jusqu'à s'écrouler sur l'herbe à quelques mètres du cratère. Sous la pénombre que la déesse de la nuit avait installée, Kemour accueillit le peu de douceur que cette nuit calme lui offrait et se mit à genoux pour pleurer une nouvelle fois. Ses yeux lui brûlaient atrocement. Il ne pouvait plus retenir ses larmes.
Petit à petit, d'autres de ses semblables émergèrent des entrailles de la terre et prirent place à ses côtés en silence, le regard perdu. Seule une poignée d'entre eux avait survécu. Le silence laissa place aux pleurs. Ils se consolèrent et unirent leur force pour sauver les derniers survivants pris au piège dans la terre et les roches. Malheureusement, Kemour ne retrouva pas sa femme. Alors, entre tristesse et soulagement d'être en vie, ils se mirent à danser, pour alléger leur peine, fêter la survie et honorer les morts. Parmi eux, un homme ne dansait pas. Kemour ne pourrait jamais oublier ce jour funeste. Il jura vengeance. Sa haine envers leurs ennemis, le peuple de la lumière, grandissait en lui et ne le quitterait jamais.
— Si c'est notre mort qu'ils attendent, qu'ils abandonnent leur projet car c'est leur mort que je verrai, promit-il empli de rage.
Kemour et les siens profitèrent de cette longue nuit inespérée pour offrir une sépulture à leurs morts et pour trouver asile chez d'autres membres de leur peuple. Kemour espérait que les monstres de lumière ne les trouveraient jamais. Lui et les autres prévinrent du danger et voulaient y remédier mais leurs confrères étaient persuadés que leur village ne serait pas découvert et que les leurs avaient été victimes de malchance.
Comme Kemour le redoutait, les jours funestes continuaient de se produire. De nouveaux villages souterrains furent détruits. Alors le peuple de l'ombre dansait de moins en moins et prièrent Nóth, la déesse de la nuit, afin qu'elle leur vînt en aide. D'un autre côté, de plus en plus de personnes joignirent la cause de Kemour et décidèrent de riposter aux attaques.
La guerre la plus importante qu'eût connu Maa fut déclarée.
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Il y avait le jour et la nuit
FantasyIâh était curieuse. Elle voulait savoir à quoi le jour ressemblait, comment étaient ceux qui vivaient de la lumière ; lumière qui lui était mortelle. À Maa, il existait un astre, qui assurait aussi bien le jour que le nuit. Cependant, cet équilibre...