Mais qui suis-je ?

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Chaques secondes qui passe me rappelle l'enfer constant dans lequel je vis : celui de la faim.
Alors que je vois des enfants qui tentent de manger des plats plus gros que leur ventre et qui jettent sans compter... Ce gaspillage me débecte. Ces gosses de riches, habitués à des festins, à tout avoir sans distinction et en ne pensant qu'à eux-même... ceux-là ne devraient pas exister. Leurs parents, qui sont souvent absents, n'ont pas de temps à perdre en leur apprenant les vraies valeurs de la vie ou, plus simplement, en leur apprenant la véritable valeur de l'argent qu'ils s'amusent tant à dépenser...
Si je restais honnête en ne volant aucune nourriture, je serais mort depuis bien des années. Personne ne serait venu sur la tombe... si mon corps ne fini pas dans une fosse commune. Certes, j'ai une famille, mais je ne les ai plus revus depuis près de trente ans.
Si certains se plaisent à penser que je suis mort, d'autres m'ont depuis longtemps bannis de leurs esprits. Il faut croire que depuis que je suis revenu de la guerre avec mes jambes en moins, plus personne ne veut m'adresser la parole. Est-ce devenu un péché de venir en aide à son prochain ?
Quand ils ont compris que j'avais changé et que je mettrais toutes mes économies en tentant vainement de pouvoir marcher avec des fichues jambes en plastiques, mon propre sang m'a mis à l'écart de tout contact direct... jusqu'à ce que mon nom en soit oublié.
Malgré tous le venin que l'on me crache en plein visage, je ne peux m'empêcher de ressentir de la pitié. Je sais pertinemment que je suis rejeté à cause d'un événement que je n'ai jamais désiré : on m'a ôté mes jambes le jour où j'ai voulu sauver ce jeune soldat, coincé sous les décombres d'une maison... et que les éclats d'un obus ont obligés les médecins à sectionner à vif mes membres inférieurs sur place.
Le pire n'a pas été d'avoir subit une opération sur le champ de bataille, sans anesthésie et avec une scie couverte de poussière comme unique outil. La plus horrible des visions fut d'être allongé sur le corps sans vie de ce jeune homme que j'avais tenté de sauver quelques minutes auparavant. Et c'est sans compter sur les centaines de cadavres plus ou moins entiers qui m'entouraient, impreniant le sol de ce bain de sang et de saleté pour les siècles à venir. Si ça se trouve, certains soldats étaient peut être là, juste à côté, gisant sur ces terres désolées, en train d'agoniser, paralysé par la douleur et ayant perdu toute force pour appeler une quelconque aide.
Les hypocrites qui composent ma famille, ces personnes aisées et arrogantes, ne peuvent pas comprendre ce qu'est le sens du devoir ou encore ce qu'est le véritable courage. Alors oui, j'éprouve de la pitié. Ces ignares n'apprendront jamais les vraies valeurs de la vie. Ces mêmes incultes ne prendront jamais le temps d'essayer mieux connaître les autres. Moi, qui suis pourtant sans le sou, je n'hésite pas un instant à partager avec ceux qui sont encore plus dans le besoin que moi. Si je ne prends pas le temps de partager ou de redonner de l'espoir avec des mots, alors je deviendrai aussi quelqu'un qui n'en vaut pas la peine... un autre monstre...
S'il y a bien une chose que je ne regrette pas, c'est d'être allé me battre pour mon pays car, il y a trente-deux ans, j'ai troqué mes jambes contre une réelle leçon de vie. J'ai appris à mieux cerner les hommes, à mieux les connaître et à aider mon prochain.
En effet, comme ma famille, j'ai aussi vécu parmis les gens aisés. Mais je ne regrette pas cette ère révolue : j'essaye depuis longtemps d'aider cet enfant que je croise tous les jours près de l'épicerie du coin. Ce gosse de quinze ans vit dans la même situation que moi... Il m'arrive de me priver pour lui venir en aide car je vois en lui ma rédemption. C'est peut être lui, la clé de mon salut ?
Je n'hésite plus à affirmer celui que je suis devenus. J'incarne désormais la pauvreté, la crainte d'une société égoïste et cupide d'être ce que je suis. C'est pour ça qu'ils me répugnent tous, qu'ils me fuient. C'est parce que la rue est devenue mon seul refuge, mon dernier ''chez-moi''.

RédemptionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant