Chapitre Ier

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2008

- Andrew ! Andrew !

La foule se bousculait pour seulement l'apercevoir. Les fans lui tendaient des photos cartonnées ou des albums, accompagnés d'un stylo. Il en signe sur son passage et accepte quelques selfies. Les plus chanceux ont les deux. Mais ses gardes le poussaient à aller plus vite. Les paparazzis se collaient aux fenêtres de la voiture de luxe noire dans laquelle il est rentré, pour le prendre en photo. Le chauffeur démarra de suite. Andrew Given soupira à l'arrière.

- Rude soirée ? l'interrogea le chauffeur qui lui adressa un léger sourire en le regardant rapidement dans le rétroviseur.

- À qui le dites-vous ! Il reprit après un temps de silence, mais je ne changerais de métier pour rien au monde !

Son chauffeur hocha la tête en souriant.

- Moi non plus Monsieur, moi non plus !

Given se reposa au fond de son siège. La tête calée dans sa main, et le coude appuyé contre la vitre, il fixait les rues de la ville de Los Angeles. Il aimerait pouvoir s'asseoir à ce bar, rire avec des amis qui ne sont pas là parce que vous êtes Andrew Given, mais parce que vous êtes drôle ou intelligent. Il aimerait pouvoir embrasser cette femme, assis dans l'herbe, sans devoir se cacher de la presse à scandale qui parfois détruit. Il aimerait tellement vivre normalement, dans l'anonymat. Mais cela était désormais impossible. Il le savait. Et même si cela lui restait en travers de la gorge, il essayait de l'accepter.

- Arrêtez-vous. Je descends là.

- Mais Monsieur...

- Je descends, stoppez la voiture s'il vous plaît.

- Ce ne sont pas mes ordres, Monsieur Given.

- Monsieur Smith, c'est moi qui vous paie, ce sont mes ordres que vous suivez.

Sur ces mots, il arrêta le véhicule, soupirant tel un enfant sage forcé par ses aînés de les suivre dans leur bêtise. Après s'être emmitouflé le visage dans ses capuches, avoir mis ses lunettes et ses gants, l'artiste remercia son chauffeur, qui lui répondit par un signe de main et un petit sourire. À peine était-il sorti du véhicule, que Monsieur Smith reprit la route. Andrew marchait voûté, les mains dans les poches, la tête rentrée dans le cou. Il observait les gens. Ils riaient tous, semblant si heureux. Il sourit lorsqu'il vit des doigts entrelacés, des amoureux qui se taquinaient, de vieilles personnes qui se tenaient par le bras, ou des personnes seules, le casque fixé sur leur tête. À chaque fois qu'il en croisait une, il ne pouvait s'empêcher de se demander quelle musique elle pouvait écouter. Pop, funk, rap, classique, la sienne peut-être, qui sait ? Il faisait ça avec son frère lorsqu'il était petit. Ce jeu l'avait poursuivi jusqu'à maintenant et il semblerait qu'il continuerait à jamais.
Il passa devant un SDF, assis en tailleur, tenant une pancarte aux multiples fautes d'orthographe où était inscrit : "Qu'est-ce qu'un dollar pour vous ?".
Il se posa la question. Un dollar ! Il ne savait même pas ce que l'on pouvait acheter avec un dollar. Sa vie était si déconnectée du monde réel...
Il s'approcha de l'homme pauvrement habillé pour un mois de novembre, enleva ses lunettes, retira ses gants et sortit devant lui un billet de cent dollars. Il lui tendit :

- Avec un dollar nous ne faisons rien, ni vous ni moi.

Il lui fit un clin d'œil et lui laissa ses gants chauds. L'homme le regarda. Ses yeux étaient si brillants qu'ils rivalisaient avec le Soleil. Ses mains blessées par le froid, salies par la rue, tenaient ce billet en ses deux bouts. Son délicieux regard exorbité le mirait comme s'il s'agissait d'un rêve. Il sourit, de ce sourire béat, totalement abasourdi. Il ne savait quoi dire. Il rangea l'argent, et agita les bras verticalement, en signe de vénération. Given se baissa et lui frappa amicalement sur l'épaule.

- Bonne chance mec !

- Merci Monsieur, que Dieu vous bénisse, il baissa la voix, soupirant presque, que Dieu vous bénisse !

Il se releva et continua sa marche. Il aimait les gens qui ne le connaissaient pas. Mais cette espèce-là était malheureusement en voie de disparition. Et cette rencontre l'avait affecté. Comment l'État américain pouvait-il laisser son peuple crever dans les rues. "Qu'est-ce que cent dollars pour moi ?".
Il passa devant un cinéma, s'arrêta, choisit un nombre, "quatre", leva la tête vers le haut du bâtiment, et lut le titre de la quatrième affiche. Il entra, toujours sous ses nombreuses couches de vêtements et accessoires qui le conservaient dans l'anonymat. Il se faufila entre les gens et attendit patiemment son tour.

- Bonsoir, une place pour "La femme en blanc" s'il vous plaît.

- Huit dollars.

Sa voix était insupportable. Cette femme, exténuée par un travail qui ne la passionnait visiblement pas, était pleine de petites manies aussi énervantes les unes que les autres.
Andrew sortit les huit dollars demandés et les lui versa dans la main. Elle lui tendit son ticket :

- Salle trois. Bon film. Suivant.

Toutes ces phrases furent dites sur le même ton, un ton d'exaspération, sûrement dû à la longue queue qui demeurait derrière sa caisse. Il emprunta les escaliers. Depuis qu'il était sorti de la voiture, il avait dû se retourner une trentaine de fois. Il n'avait pas l'habitude de s'aventurer, encore moins seul, encore moins au cinéma. La presse et les paparazzis étaient une réelle angoisse pour lui. Une peur qu'il ne savait contrôler. Mais personne, ce soir, n'avait apparemment sut sa vraie identité.
Arrivé à l'étage, il se dirigea vers sa salle. Plusieurs personnes déjà installées traînaient sur leur téléphone en attendant le long-métrage. Des couples, des amis, des solitaires, des familles. Tous les profils étaient présents. Il se plaça tout à l'avant et ne se dévêtit que de sa veste. Des bandes-annonces ou des publicités envahirent le grand écran. Andrew en profita pour sortir son portable. Deux-cent-quatre-vingt-huit messages Instagram, cent-soixante-deux Snapchat, dix messages simples et un appel en absence. Il l'éteignit. Les mains croisées sur son ventre, il attendit le début du film. Personne au premier rang, à part lui. Les spectateurs continuent de rentrer. Il rit seul en se disant qu'ils ont Andrew Given dans la salle, sans même le savoir. Les lumières baissent et finissent par s'atténuer totalement. L'écran se noircit. Les gens se taisent. Le film commence.

Andrew et AmberOù les histoires vivent. Découvrez maintenant