Chapitre 6

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Il n'aimait pas le casino. Il ne savait pas pourquoi il avait prit cet accès. Mais maintenant qu'il avait payé il allait jouer.

Il était à la table de poker. Assis, les mains sur le tapis rouge parfaitement propre, il observait ses adversaires.
À sa gauche, une femme. Elle paraissait inquiète, non pas du jeu, mais juste de nature stressée. C'était une mère, il en était sûr. Peut-être même une grand-mère. Elle semblait mal, ses yeux puaient l'anxiété et ses mains se soumettaient à d'horribles tremblement.
À sa droite un homme. Tout le contraire de la femme. Il était grand et assuré. Vêtu d'un costard cravate, rasé de près, il avait cette confiance en lui déconcertante. Il s'agissait très sûrement de l'un de ces hommes soporifiques ne parlant que d'eux à leurs amis et se vantant de leur musculation. Et puis il y avait lui au milieu d'eux deux. Ses cartes présentaient une bonne future partie. Il avait échangé deux-cent dollars en jetons. Il en avait déjà perdu cinquante, depuis le début. Il fallait dire qu'il ne jouait jamais au poker et ne connaissait que les règles de bases. Il s'était promis de s'arrêter quand il aurait repris sa mise de départ ou quand il l'aurait perdue en intégralité. La première hypothèse était sa favorite. Given, plongé dans le jeu était absent du monde qui l'entourait. Seule sa table et ses adversaires l'intéressaient à présent. Il mise :

- Dix dollars.

L'homme suit.

- Dix dollars.

Le tour de la femme vint. Elle hésite. Ou bluffe. Ses yeux se balancaient entre ses cartes et celles posées sur le tapis.

- Dix dollars.

Le jeu continua. Le croupier découvra une nouvelle carte.

"Couleur avec as !".

Andrew avait envie de le crier, de sourire, de faire tapis. Mais comme tout bon joueur, il ne fait rien de tout cela. Poker Face. L'hésitation arriva alors qu'il réalisa qu'il devait miser en premier.

- Cinq dollars.

L'homme renchérit.

- Vingt-cinq dollars.

La femme se coucha. Cela allait se jouer entre l'artiste et lui. Given surenchérit.

- Quarante dollars.

L'homme suivit. Une grosse centaine de dollars est à gagner. La dernière carte vit le jour. Given était sûr de battre l'autre joueur : aucun jeu plus puissant, pour cette partie, n'était possible.

- Tapis, lance Given.

Cela représente quatre-vingt-dix-neuf dollars. L'homme hésite puis suit. Chacun dévoile ses cartes. Victoire écrasante de Given qui resta tout de même respectueux de son adversaire en gardant un visage relativement neutre. Il se leva, salua les joueurs et le croupier, et se dirigea au change du casino, à l'entrée.

- Bonsoir.

Il posa ses jetons sur la caisse. L'homme, dans le même uniforme que Amber, les compta rapidement.

"Amber...".

Il tourna la tête, pour essayer de l'apercevoir de là où il était. Il vit la caisse et l'entrée de l'hôtel mais non l'hôtesse.

- Monsieur Given, vous avez fait gain de trois-cent-onze dollars, soit un bénéfice de cent-onze dollars par rapport à votre mise de départ.

Andrew sourit, il l'avait reconnu sans lui demander un autographe ou une photo.

- Et bien c'est plutôt pas mal je crois !

L'hôte s'autorisa à répondre en souriant.

- Oui, je le pense aussi Monsieur !

L'artiste récupéra son argent et se dirigea ensuite vers l'entrée de l'hôtel. Il ne vit pas Mlle. Jones. Il resta là, dans ce grand hall où grouillait les gens pressés qui le bousculaient sans s'excuser, avec ses sous. Toute cette vie, cette agitation, concentrée un ce lieu si chic, si luxueux. Sa tête marchait au ralenti. Il ne pouvait expliquer ce qui lui arrivait. Qu'est-ce qui se passait ? Il s'était barré de sa vie de star tant désirée, il aimait une femme déjà prise, il ne répondait plus à ses collègues et associés... Il ferait bien de retourner dans les rangs avant de s'écarter trop loin. On ne fait pas que ce que l'on souhaite dans la vie. Il s'était engagé, il irait jusqu'au bout.

Il monta dans sa chambre, prit une dernière douche dans cet hôtel où il n'aurait jamais dû venir. L'eau froide lui remit les idées en place définitivement. Il ouvrit ses armoires, ses tiroirs, ses meubles qui avait accueilli si volontiers ses affaires et les fourra dans un sac de sport.

Les cheveux encore mouillés, les yeux pleins de larmes, la tête remplie de désespoir, il tenait sa chaude veste noire dans la main gauche, et son sac dans l'autre. Il ferma finalement la porte de cette petite suite qui était son coin de paradis, d'oubli de cette vie si rude, si dure. Mais qu'avait-il cru ? Qu'il pourrait y vivre à jamais ? Après quelques longs jours de bonheur, son existence mouvementée et pleine d'amour fanatique reprendrait. Son cœur lui criait de rester, sa raison lui hurlait de partir. Il avait déjà bien assez écouté le muscle enragé de sa poitrine, l'âme tourmentée avait désormais son mot à dire. Il était temps de lui obéir.
Il descenit les marches comme on part à la guerre. Ses yeux avaient perdu leur eau de tristesse. Il passa à la caisse, régler pour les derniers jours encore impayés. Un homme l'accueillit, souriant. Vingt-et-une heure treize.

- Bonsoir Monsieur, que puis-je faire pour vous ?

- Bonsoir, je viens régler pour les derniers jours où j'ai séjourné en chambre deux-cent-deux.

- Très bien... sa voix baisse. Il trifouille dans son ordinateur, et sa voix monte d'un coup, en même temps que les coins de sa bouche. Monsieur Given ! Excusez-moi je ne vous avez pas reconnu !

- Il n'y a pas de problème. Sachez que je ne séjournerai plus ici. Je viens payer pour la dernière fois.

- D'accord Monsieur. J'espère que vous avez apprécié le service ainsi que les lieux.

- Absolument ! Magnifique petit endroit ! Si ça ne tenait qu'à moi j'y serai rester toute ma vie, mais, vous comprenez, ça n'est pas si simple !

- Bien sûr ! Les obligations de la vie...

Given savait que les obligations du garçon n'étaient sûrement pas les mêmes que les siennes, et pourtant, cette phrase paraîssait raisonner chez les deux hommes.
Il paya rapidement, comme si rester là trop longtemps le ferait succomber à l'envie de demeurer encore dans ces lieux de plaisir.
Il empoigna son sac posé par terre et se dirigea vers la magnifique porte vitrée qu'il ne passera plus. Il voulu lancer un dernier regard pour se souvenir, mais la nostalgie déjà présente en lui, lui interdit de se faire du mal.
Ses yeux torturés usaient l'éclatant marbre qui jonchait le sol, sa tête abattue, baissée, cassait la courbe de son dos si droit. À la sortie de l'hôtel, il renversa une femme qui releva la tête alors qu'elle était accroupie.
Ses pupilles se firent béantes.

"Amber".

Andrew et AmberOù les histoires vivent. Découvrez maintenant